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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/186

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« Le philosophe Diderot n’a jamais rien écrit sur l’égalité des conditions ».

Et nous ne jugeons pas les philosophes sur des phrases isolées ; c’est tout ce que nous savons, non-seulement de leurs idées politiques, mais, ce qui est plus important ici, de leur caractère, de leurs habitudes et de leurs goûts, qui nous permet d’affirmer qu’ils sont au fond très aristocrates. Ils le sont déjà par leur genre de vie : quand le chef de l’Encyclopédie n’est pas à la Chevrette, chez Mme d’Épinay, il est au Grandval chez le baron d’Holbach et il apprécie fort, nous le savons, les succulents dîners du maître d’hôtel que s’est donné la philosophie. Quant à d’Alembert, ce fier gueux, à en croire la renommée du temps et même la plupart de nos contemporains, il est, comme d’autres philosophes d’ailleurs, le pensionnaire du roi de Prusse, et si l’on prend la peine de faire le compte de toutes ses pensions, on trouve que, bon an, mal an, il touche, le pauvre homme ! 12 000 livres de rentes[1]. À tout prendre, « au banquet de la vie », comme dira leur ennemi Gilbert, les philosophes n’ont pas été les plus infortunés des convives et ils savaient bien qu’à ce banquet il y a difficilement place pour tout le monde. Mais ils étaient, de plus, aristocrates par ce très naturel, encore que très peu charitable dédain du lettré et du philosophe pour la foule ignorante et inintelligente : lettrés, ils tenaient essentiellement à la tranquillité et à la sécurité publiques, qui permettent les longs

  1. « Mme Geoffrin donna d’abord à d’Alembert une rente viagère de 600 livres ; depuis, elle en ajouta une de 300, et enfin une de 4 000 livres. » (Thomas : Œuvres complètes, 1819, I, p. 628). « À la mort de Mlle de Lespinasse, d’Alembert habita au Louvre l’appartement destiné au secrétaire perpétuel de l’Académie française… M. Destouches (son père), en mourant, lui laissa 1 200 livres de rente… Le gouvernement français lui donna une pension sur le Mercure… ; son revenu se montait en tout à 12 000 francs. » (Mme Suard : Mém. sur Suard). Et il ne faut pas oublier la « pension brandebourgeoise », soit 1 200 livres de rentes. Mme Suard évalue sa fortune à 12 000 et Meister à 14 000 livres de rentes, ce qui représenterait plus de 40 000 francs de nos jours. On voit ce qu’il faut penser de la fière devise que lui conseillait d’Holbach : Panem et libertatem. Grimm avouait lui-même, pendant la Révolution, une fortune de 40 000 francs de rentes.