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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/187

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loisirs studieux, toutes choses qui auraient été emportées par les perpétuelles agitations d’une démocratie turbulente. Ils se disaient, avec Voltaire, que « dès que la populace se mêle de raisonner, tout est perdu ». Voyez aussi quels chaleureux éloges Diderot décerne à Hobbes pour avoir combattu la sédition et prêché la soumission au prince : « Qui de nous, ajoute-t-il, ignore qu’il n’y a point de philosophie sans repos, point de repos sans paix, point de paix sans soumission au dedans et sans crédit au dehors » ?

Philosophes enfin, philosophes avant tout et qui ne font cas que de la raison, comment auraient-ils pu estimer le peuple, lui qui ne connaît que la coutume, cette raison des sots ? Aussi n’ont-ils pour lui que des termes méprisants : « Les progrès des lumières sont limités ; elles ne gagnent guère les faubourgs : le peuple y est trop bête. La quantité de la canaille est à peu près toujours la même… La multitude est ignorante et hébétée. » C’est le fils du coutelier de Langres qui parle ainsi : que serait-ce si nous donnions la parole au comte de Tournay… ? « que l’infâme soit abandonnée aux laquais et aux servantes ». Quant à eux, les « initiés », ils refusent, ainsi que Voltaire, de « penser comme leur tailleur ou leur blanchisseuse », et, quand ils auront détruit « l’empire des cuistres dans la bonne compagnie », ils hériteront de leur crédit et de leurs places : « Les premières places, leur a prédit Voltaire, seront un jour occupées par des philosophes. » Sait-on pourquoi les Chinois sont tant prônés dans l’Encyclopédie ? Tocqueville va nous le dire, car il a admirablement compris et exprimé l’idéal social des philosophes ; « Ils sont émus et ravis à la vue de ce pays dont le souverain absolu, mais exempt de préjugés, laboure une fois l’an la terre de ses propres mains pour honorer les arts utiles ; où toutes les places sont obtenues dans des concours littéraires ; qui n’a pour religion qu’une philosophie et pour aristocratie que des lettrés. » Les Chinois ne sont pas seulement, pour les Encyclopédistes, ce qu’étaient, pour Tacite, les Germains, c’est-à-dire la satire vivante de la société contemporaine : ils sont encore,