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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/195

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tion que de l’acheter par une goutte de sang, l’autre que le pire des gouvernements était celui de la canaille. » S’il est permis de ne pas en juger en bloc tout le cours de la Révolution française et de distinguer formellement, puisqu’elles sont loin d’avoir été la conséquence inévitable l’une de l’autre, la Terreur de l’Assemblée nationale, il faut se garder de même de voir dans les écrivains du dix-huitième siècle, comme l’a fait La Harpe, les précurseurs des Hébert, des Chaumette et des Marat. « Lorsqu’on accuse la philosophie des forfaits de la Révolution, dit Mme de Staël, l’on rattache d’indignes actions à de grandes pensées, dont le procès est encore pendant devant les siècles, » et c’est ce procès que nous nous efforcerons d’instruire dans notre dernier chapitre. Rœderer disait avec non moins de force : « Marmontel, dans ses Mémoires, n’avait pas besoin de rétracter les principes de sa philosophie pour se déchaîner contre les horreurs commises par les scélérats qui n’avaient pas plus de rapport avec la philosophie qu’avec l’Évangile où la doctrine des sans-culottes est, si l’on y tient, expressément établie[1]. »

Restent donc les origines et les grandes réformes de la Révolution : jusqu’à quel point peut-on les faire remonter aux doctrines des philosophes ? Au lendemain de l’épouvantable catastrophe qui avait bouleversé et décimé la société française, certains contemporains, dans leur effroi, imaginèrent des causes pour ainsi dire diaboliques et proportionnées à la grandeur terrible de l’événement : pour expliquer tant de ruines amoncelées, il ne fallait rien moins, leur semblait-il, qu’une vaste conspiration de génies malfaisants qui, par des manœuvres souterraines, avaient peu à peu creusé l’abîme où s’étaient englouties toutes les institutions du passé. Pour Mme de Genlis, c’est aux soupers du baron d’Holbach que se forma, comme elle l’appelle, la

  1. Rœderer : Œuvres, IV, 170. Bachaumont cite cette curieuse note écrite par Diderot à la marge d’une traduction de Tacite et dont il avait pris copie : « Que le peuple ne voie jamais couler le sang royal pour quelque cause que ce soit : le supplice public d’un roi change l’esprit d’une nation pour jamais. » (Mém. secrets, II, 324).