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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/196

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grande conjuration : « Le secret n’était bien connu que de huit ou dix personnes qui furent les véritables conjurés ; dans de petites assemblées ténébreuses on enfanta le projet de faire une Encyclopédie ». C’est dans le même esprit que de Bonald écrira plus tard, après l’abbé Georgel : « Ils s’étaient distribué les rôles[1] ».

Que les Encyclopédistes n’aient pas renversé à eux seuls, (à supposer qu’ils y aient contribué), l’ancien régime, ni, surtout, qu’ils n’en aient pas comploté de longue main, et en de secrets conciliabules, la destruction, c’est ce qu’il est inutile de démontrer, aujourd’hui qu’on connaît mieux leurs idées politiques et aussi les causes multiples et d’ailleurs très naturelles de la Révolution. Ces causes sont, on le sait, le désordre des finances, la disposition des esprits et un peu aussi la guerre d’Amérique : on y peut ajouter les fautes du roi et de la cour. Ne parlons pas, puisque les philosophes n’ont rien à y voir, du dérangement des finances, ni de la guerre d’Amérique, ni des fautes de la royauté ; reste la disposition générale des esprits, dans laquelle on ne saurait prétendre qu’une philosophie militante, comme le fut celle du dix-huitième siècle, ne soit absolument pour rien : ici, toutefois, il ne faut pas plus exagérer que méconnaître le rôle des philosophes. Cette opinion publique, c’était, au fond, et ramenée à ce qui l’avait provoquée, le sentiment des maux dont on souffrait depuis si longtemps et dont enfin on était las. Un jour, en 1765, les Bénédictins de Saint-Germain-des-Prés présentèrent une requête pour être affranchis de leur règle et quitter l’habit ecclésiastique et les philosophes se hâtèrent d’attribuer cette démarche singulière au « progrès de la raison en France ». Mais Grimm objectait, avec son habituelle justesse d’esprit, qu’il fallait chercher d’autres causes aux événements qui ne sont pas dans le cours ordinaire : « C’est que les préjugés et les mœurs qui en résultent ont leurs périodes, comme tout ce qui existe dans la nature, et qu’il vient un point de matu-

  1. Nous verrons, au chapitre suivant, si les Encyclopédistes étaient réellement unis entre eux.