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à tous ces insatiables buveurs à la fois l’ivresse et l’impiété. « Rabelais, dit l’amusant Père Garasse, est l’enchiridion du libertinage ; c’est un vaurien qui suce peu à peu l’esprit de piété. » Remarquons, en passant, que l’abbaye de Thélème est fermée aux sectateurs de « toutes les religions » et que son fondateur est, comme on l’a très justement dit, plus hostile encore, « au dogme sombre et à la morale austère de Calvin qu’à l’Église catholique et à son système indulgent de pénitences[1] ». N’est-ce pas, en effet, Antiphysis qui, de même que les Papagots, « engendre les Démoniacles Calvins, imposteurs de Genève » ? Faut-il donc donner tort à ceux qui ont fait de Luther et de Calvin les prédécesseurs, volontaires ou non, des philosophes du dix-huitième siècle ?

Il semble bien, au premier abord, que la Réforme ait singulièrement aidé la libre pensée puisqu’elle a porté de si terribles coups à l’ennemie irréconciliable de la libre pensée, à la religion catholique. La réforme s’était faite à la fois au nom du sentiment religieux qui ne voulait plus d’intermédiaire entre le chrétien et son Dieu et au nom de la conscience morale qui repoussait le faux idéal de sainteté proposé par l’Église à ses fidèles. Or, déclarer que « tous les chrétiens sont prêtres », comme l’avait fait Luther, c’était abolir la hiérarchie catholique, car c’était supprimer les évêques et leur chef, le pape ; de plus, mettre fin à l’universalité de l’Église, c’était ruiner du même coup un des principes fondamentaux de sa théocratie. Si le pouvoir religieux, comme l’a fait quelque part remarquer Schérer, est supérieur au pouvoir civil, c’est à la condition que tous reconnaîtront cette supériorité et que l’Église représentera pour tous le droit véritablement divin. Fractionné, ne s’imposant plus à tous, cessant, en un mot, d’être catholique, le pouvoir de l’Église est déraciné, il reste en l’air, pour ainsi dire, à la merci des revendications de tout genre que formuleront plus tard les philosophes. Voilà ce

  1. P. Stapfer, Rabelais, Colin, 1889, p. 265.