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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/201

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lement, ce moyen indirect de ruiner la superstition, s’il était le plus sûr, était aussi le plus lent de tous et les Encyclopédistes étaient impatients d’écraser l’infâme au plus tôt. Que feront-ils donc ? des deux partis que nous venons d’indiquer le premier leur paraissant trop dangereux et le second trop peu efficace, ils choisirent un moyen terme qui, sans trop les compromettre, donnait pleine satisfaction à leurs ardentes rancunes contre l’Église : ils combattirent la religion, tout en ayant l’air de la défendre.

Le moyen était peut-être très ingénieux : à coup sûr, il n’était pas très honnête ; c’était emprunter des armes à ses pires ennemis et il paraît tout d’abord singulier que d’aussi ardents adversaires des Jésuites aient pensé, à leur tour, que la fin justifie les moyens. « Pourvu, disait leur royal protecteur, Frédéric, que le bien se fasse, qu’importent les moyens qui peuvent l’acheminer ! » Certains amis de l’Encyclopédie ont eu le mauvais goût d’admirer sans réserve cet insidieux plan de campagne : nous croyons que même l’esprit de parti n’eût pu les égarer à ce point, s’ils avaient lu, dans l’Encyclopédie même et à la suite les unes des autres, les étonnantes capucinades dont nous donnerons tout à l’heure une idée au lecteur. Ce qu’on peut alléguer, en faveur des Encyclopédistes, mais tout en réprouvant leurs stratagèmes philosophiques, comme ils avaient flétri eux-mêmes les fraudes pieuses de leurs adversaires, c’est que, outre qu’ils étaient gênés, par les entraves que l’on sait, dans l’expression de leurs pensées véritables, ils vivaient à une époque où les âmes avaient certainement moins de délicatesse et moins de fierté que de nos jours, façonnées et pliées qu’elles étaient à une obéissance passive et corruptrice par plusieurs siècles de monarchie absolue. Tout récemment encore l’écrasement des Réformés et des Jansénistes avait eu pour résultat un abaissement du caractère national ; car on peut dire de Louis XIV ce que Montesquieu a dit de Justinien, qui avait voulu, lui aussi, l’unité de la foi : « il crut avoir augmenté le nombre des fidèles : il n’avait fait que diminuer celui des hommes. »