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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/202

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Et Diderot ne se trompait guère quand il disait à ses amis : « Vous êtes des ressorts que le poids d’une administration a tenus courbés, et cela depuis que vous êtes nés ; une longue contrainte (celle du despotisme) vous a dégradés[1]. »

Ne pouvant lui résister en face, on avait appris à ruser avec une autorité capricieuse et tracassière. Beaucoup de nos philosophes avaient été élevés par les Jésuites et n’est-ce pas chez eux, par exemple, que Diderot avait appris qu’il y a des circonstances où « on est forcé de suppléer à l’ongle du lion, qui nous manque, par la queue du renard[2] ? » Quoi qu’il en soit, nos philosophes pratiquèrent à merveille le conseil qu’un maître fourbe leur adressait de Ferney : frappez et cachez votre main. Nous avons relevé naguère certaines contradictions scientifiques qui avaient échappé aux Encyclopédistes : nous avons à parler maintenant d’une contradiction voulue, de ce qu’on pourrait appeler la grande contradiction, disons le mot ; le grand mensonge de l’Encyclopédie. Celle-ci, en effet, veut être un vaste réquisitoire contre l’Église : or, en maint endroit, on croit lire un catéchisme, ou, mieux encore, et pour rendre exactement la double impression du lecteur embarrassé : en feuilletant ces énormes in-folios, on s’imagine, par moments, avoir devant soi je ne sais quelle Somme immense écrite, à la fois pour l’instruction et le déniaisement du public, par des bénédictins frottés de voltairianisme. On espère parfois que tous ces articles si orthodoxes, voire même si pleins d’onction, sont dus à quelqu’un de ces obliques théologiens que l’Encyclopédie avait eu l’adresse d’enrôler sous ses drapeaux : on est stupéfait de lire, au bas, les noms de d’Alembert et de Diderot lui-même, d’un Diderot qui disserte en Père de l’Église sur les dogmes les plus contestés et en apologiste éloquent sur les actes les plus reprochés au catholicisme. Le lecteur va en juger lui-

  1. Ma rêverie à moi, Denis le philosophe, fragment inédit donné par M. Tourneux dans le Temps du 24 août 1885.
  2. Notes de Diderot, à la marge d’une traduction de Tacite, reproduites par Bachaumont, Mém. secrets, 13 janvier 1776.