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éléments qu’à la conscience des philosophes qui ont précieusement enregistré ces pieuses billevesées. Sachez donc que Noé mit soixante-dix-huit ans à bâtir son arche et qu’il était âgé de cinq cents ans quand il eut ses trois fils qui l’aidèrent à la construire. Suit le calcul exact des dimensions que dut avoir l’arche pour loger huit hommes, sept animaux purs, une paire de chaque espèce d’animaux impurs, avec de l’eau douce pour un an. Noé logea tout ce monde dans trente-six étables et trente-six volières et, pour les entretenir, il emmagasina, dans sa maison flottante, l’équivalent de la nourriture de mille huit cent vingt-cinq brebis, plus cent neuf mille cinq cents coudées de foin. Cet exemple suffit pour montrer comment l’Encyclopédie entend appliquer les mathématiques à l’histoire sacrée. C’est surtout à propos de tels articles qu’on peut se demander : Qu’en pensait Voltaire ? lui qui ne tarissait pas de plaisanteries sur les bévues scientifiques de la Genèse.

Mais laissons là l’histoire sainte, que ne comprenaient ni les théologiens du temps dans leurs sots commentaires, ni les philosophes dans leurs triviales parodies, et voyons, sur d’autres sujets très délicats, quel est le sentiment de l’Encyclopédie. Que dit-elle, par exemple, de la messe ? Elle en parle comme ferait un enfant de chœur ; « La messe est la plus grande et la plus auguste des cérémonies de l’Église. » Quant aux miracles, « ne pas y croire, c’est s’aveugler ou tomber dans le pyrrhonisme historique le plus outré. » On s’attend bien, après cela, que les dogmes en général seront défendus avec chaleur par nos philosophes, mais aurait-on pensé que même le dogme des peines éternelles trouvât en eux des apologistes ? « Après la mort, quand l’iniquité est consommée, le pécheur peut-il accuser Dieu d’injustice de lui infliger des peines éternelles[1] ? » Et Diderot lui-même n’hésite pas à écrire, ou, ce qui revient au même, à signer ce qui suit : « Le temps des destinées éternelles arrivera et ceux qui échappent à présent à la

  1. Encyclop. : art. Enfer ; « l’article Enfer, écrivait d’Alembert à Voltaire, qui vous a tant scandalisé. »