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riage et le sanctifie et la famille avec lui ; mais sa morale reste religieuse, c’est-à-dire surnaturelle par son origine et par sa fin ; ce n’est pas la morale naturelle de nos philosophes. En second lieu, par son principe, le protestantisme est sans doute favorable à la raison puisque ce principe est l’individualisme. Tandis que « le propre du catholique, suivant la définition de Bossuet, est de préférer à ses sentiments le sentiment commun de toute l’Église », le protestant se fait sa foi à lui-même ; la bible à la main, il se crée à lui-même son christianisme. Mais ce n’est là que le principe de la réforme : en réalité, des confessions de foi, nécessaires peut-être pour qu’il y eût de véritables communautés religieuses, furent rédigées et imposées aux fidèles et limitèrent singulièrement, dans la pratique, cette raison individuelle à laquelle on avait d’abord fait appel. Enfin, cette raison, même à l’origine, est-elle vraiment libre, étant si souvent inspirée par le diable aux yeux de Luther qui l’appelait dédaigneusement : Frau Vernunft ? Au fond, le protestantisme immolait l’autonomie de la raison à l’autorité infaillible, non plus d’un homme sans doute, mais d’un livre qu’on pouvait bien « examiner » et même torturer en tous sens, mais qu’en définitive il fallait toujours croire, parce qu’il venait de Dieu ; la Bible, c’est, pour Luther, la parole même de Dieu : lautere Gotteswort. Et enfin l’intolérance déclarée des Réformes, qui damnaient là-haut et parfois brûlaient ici-bas ceux qui ne pensaient pas comme eux, qu’avait-elle de commun avec l’humanité, c’est-à-dire avec cette large sympathie que professeront les philosophes pour tous ceux, croyants ou non, qui seront seulement des hommes ?

Mais il y a plus : de fait, le protestantisme, en ouvrant une nouvelle Église, ramena à la religion, encore que sous une bannière différente, ceux qui, détachés du catholicisme allaient passer, sans lui, à la libre pensée. Jusqu’alors la philosophie gagnait tout ce que perdait la religion : maintenant, beaucoup vont déserter l’Église catholique, qui s’arrêteront à mi-chemin de la libre pensée, dans une autre