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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/222

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Ils durent, à sa mort, pousser le même cri de soulagement, que Collé, qui était pourtant leur ennemi à tous : « Nous rentrons enfin en République ! »

Voilà les côtés faibles et les défauts du parti ; les Encyclopédistes étaient désunis et rivaux les uns des autres, au grand désespoir de Voltaire qui ne cessait, lui, le boute-feu par excellence des querelles littéraires, de leur prêcher l’esprit de paix et de concorde : « mais les brebis se dispersent, disait-il tristement, et le loup les mange ». Ils réussirent pourtant, en face du loup, et malgré leurs jalousies et leurs dissensions intestines, à s’unir enfin et à s’entr’aider, et même, on va le voir, à se pousser très loin et à se faire valoir les uns les autres, tout comme s’ils s’étaient tendrement aimés. C’est qu’ils ne s’accordaient pas seulement, comme nous l’avons montré, sur ce qu’il fallait détruire : les privilèges et les privilégiés ; mais ils apprirent très vite ce qu’il convenait de mettre à la place des uns et des autres, à savoir : eux et leurs propres droits. Écraser l’infâme, c’était le cri de ralliement ; régner à sa place devint bientôt l’ambition secrète et unanime. « Ameutez-vous, leur criait sans cesse Voltaire, et vous serez les maîtres » ; mais les maîtres de quoi ?

Tout d’abord des esprits et des âmes, qu’il s’agit d’arracher à la tutelle oppressive de l’Église, pour les donner à la philosophie et à la science, qui les affranchira. Séguier avait raison de dire, dans son réquisitoire de 1770, que « les philosophes s’étaient élevés en précepteurs du genre humain ». Seulement ce qui était, dans la bouche du fougueux avocat-général, un reproche, ils en faisaient, eux, un éloge qu’ils s’efforçaient de plus en plus de mériter : et peu à peu, nous les voyons s’emparer de l’opinion publique, qu’ils gouvernent à leur gré, du théâtre, où ils font applaudir leurs doctrines, de l’Académie, enfin, dont ils n’ouvrent les portes qu’à leurs amis.

C’est beaucoup, mais ils veulent plus encore, car tout cela n’est, après tout, qu’avantages immatériels et pures satisfactions d’amour-propre : or, ils veulent des réalités,