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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/223

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c’est-à-dire des places et des pensions ; ils veulent que les premières, nous l’avons vu, soient mises au concours ; c’est le vœu explicite de Diderot, et que les secondes soient plus équitablement réparties ; que, par exemple, un Maupeou, parlant au nom du roi, ne puisse plus octroyer des pensions de deux mille livres à des Batteux ou même à des Foncemagne « pour leur sagesse ». Un jour viendra, et ils s’efforcent d’en hâter la venue, où, suivant la prédiction du Patriarche, « les premières places seront occupées par les philosophes ». En attendant ce gouvernement des savants et des sages, cette sophocratie de leurs rêves, qui doit faire disparaître et remplacer peu à peu les derniers vestiges de l’ancienne théocratie, les philosophes ont le sentiment, et ils ne se trompent pas, qu’ils interprètent fidèlement les légitimes revendications de la bourgeoisie éclairée de leur temps.

Que veut donc celle-ci ? on l’a vu, obtenir enfin dans l’État le rang qui est dû à son importance croissante, à son intelligence cultivée et à son incessant labeur. Et maintenant, pour conquérir leur place au soleil, quels moyens vont employer ces philosophes et ces bourgeois ? les seuls efficaces et, d’ailleurs, les seuls possibles dans une monarchie absolue. Ils savent bien qu’ils ne vivent pas dans un pays libre comme est cette Angleterre, objet de leur envie, où toutes les carrières sont ouvertes à tous les talents, où l’on voit des littérateurs et des savants, quelle que soit leur origine, parvenir aux plus hautes dignités de l’État. Rien de tel ici ; c’est du roi et de ses ministres que viennent les faveurs et les dignités : par exemple, les brevets du Mercure à un Marmontel ou les lettres de gentilhomme de la chambre à un Voltaire. Il faut donc arriver, nous l’avons montré, à éclairer, entendez par là, à gouverner les ministres et, par eux, le roi lui-même puisque tout émane de lui, puisque « si veut le roi, si veut la loi », et puisqu’enfin la grande ennemie qu’il s’agit de supplanter, l’Église, n’a jamais fait autre chose que s’incorporer habilement à l’État, avoir l’oreille du maître et disposer, au gré de ses intérêts ou