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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/246

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Mais laissons là les hypocrites et « les roués » des deux partis, et ne considérons à la fois que les plus respectables parmi les prélats qui combattirent l’Encyclopédie, un Christophe de Beaumont, par exemple, dont les vertus égalaient l’ardeur belliqueuse, et les plus honorables parmi les Encyclopédistes, comme l’honnête chevalier de Jaucourt, que les Anti-encyclopédistes enviaient à leurs ennemis. Or, précisément, le chrétien convaincu et le philosophe sincère étaient tenus, de par leurs principes mêmes, de se suspecter, et, par conséquent, de se mépriser mutuellement. Les vérités que nous fait connaître le sens commun ou la raison étant non seulement très claires, mais, à première vue, du moins, très évidentes, comment un philosophe pouvait-il admettre qu’on fût de bonne foi en niant l’évidence, alors qu’il suffisait, pour la voir, d’ouvrir les yeux ? Et son raisonnement lui paraissait d’autant plus invincible qu’il s’appuyait sur une complète ignorance de ce qu’avait été la religion dans les siècles de foi, le moyen âge n’étant, pour lui, qu’une longue nuit éclairée çà et là par le feu des bûchers ; et, très logique, il concluait que les prêtres ne pouvaient être que des imposteurs. Et, de même, pour un chrétien, les philosophes étaient des gens qui avaient des yeux pour ne point voir l’éclatante lumière de l’Évangile. Bossuet n’avait-il pas dit qu’on « ne peut combattre la religion sans montrer, par de prodigieux égarements, qu’on a le sens renversé[1] » ? Niant effrontément les vérités les plus certaines, les philosophes, à leur tour, ne pouvaient être que des fourbes et des menteurs, de sorte que si les philosophes ne pouvaient pas ne pas railler et maudire les prêtres, les prêtres ne se sentaient pas moins obligés d’anathématiser les philosophes. Ici, toutefois, la philosophie était moins intolérante que l’Église : elle ne damnait personne. Les philosophes disaient bien qu’il n’y avait pas de talent hors de l’Encyclopédie : ils ne disaient pas que, hors du déisme, il n’y avait pas de salut.

  1. Histoire universelle : Suite de la Religion.