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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/252

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gerie de Michel Rey, et l’on ignora longtemps que le fournisseur, Mirabaud, s’appelait, de son vrai nom, d’Holbach. Il était donc bien difficile de donner satisfaction au clergé qui demandait qu’on punît « le véritable auteur » du Système de la nature. Mais ce même clergé ne méritait-il pas d’être écouté, quand il s’indignait contre « les permissions tacites accordées à des ouvrages qu’on n’aurait pas osé autoriser par des permissions publiques ? » Ces permissions tacites étaient comme un moyen, offert par le gouvernement lui-même, aux auteurs licencieux ou séditieux, de se passer de ce privilège du roi sans lequel un livre ne pouvait légalement paraître en France : le livre tacitement permis n’avait qu’à s’annoncer, au frontispice, comme imprimé à l’étranger, et le censeur s’entendait complaisamment avec le Directeur de la librairie pour ne pas nuire à son succès. Il arrivait aussi, et le clergé s’en plaignait au roi, qu’en fermant à un livre condamné les portes de la capitale, on laissait ouvertes pour lui toutes celles du royaume[1]. Enfin, et ceci n’était-il pas le comble de l’anarchie en matière de librairie ? il n’était pas rare, ainsi que l’affirmait le clergé, qu’après avoir fait subir à des livres prohibés la peine de la confiscation, « il était libre à des commis avides et infidèles de les reprendre », et même, aurait-on pu ajouter, de les vendre avec de grands profits. Un gouvernement ainsi trahi par ses propres agents, et qui le sait et laisse faire, impuissant ou même indifférent à de tels abus, est condamné à une ruine prochaine.

Malheureusement, le Mémoire du clergé venait trop tard ; le mal de l’incrédulité était désormais sans remède : on avait laissé à « la contagion, ainsi s’exprimait ce Mémoire lui-même, le temps de corrompre tous les cœurs et de former enfin l’esprit général de la nation. »

D’ailleurs, si l’État s’était montré faible dans la répres-

  1. Voir, sur ce point, une intéressante brochure de M. H. Carré, professeur à la Faculté des lettres de Poitiers : « Quelques mots sur la presse clandestine à la fin de l’ancien régime. » (Poitiers, Millet et Pain, 1893).