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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/251

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du souverain. » Ce n’était pas seulement, en effet, disait habilement le Mémoire, « comme évêques chargés de la défense de la cité Sainte, mais encore comme membres d’un État, dont ils formaient le premier ordre », et dont ils étaient, par conséquent, le meilleur soutien, que les mandataires du clergé venaient porter aux pieds du trône leurs supplications et « leur profonde douleur. »

Ce n’était pourtant pas les lois qui manquaient alors pour opprimer le commerce de la librairie, ni les surveillants pour arrêter l’essor des mauvais livres ; l’écrivain n’était-il pas soumis à la fois aux édits du roi, aux arrêts du Conseil et à ceux du Parlement, et ne devait-il pas subordonner l’expression de sa pensée au bon plaisir de M. le Directeur général de la librairie et de M. le lieutenant de police, sans parler de MM. les censeurs et enfin des membres des Chambres syndicales ? Mais à quoi servent les meilleures lois et les plus restrictives du monde, si elles sont exécutées ici et non là, tel jour et non tel autre, par un gouvernement qui veut tantôt satisfaire, tantôt vexer le Parlement ou le clergé en réprimant ou en tolérant les écarts de la philosophie ? « Combien de livres, Sire, s’écrie avec tristesse le porte-parole du clergé, l’autorité n’a-t-elle pas su arrêter dans ces derniers temps ? et les livres les plus pervers demeurent sans flétrissure, et l’auteur du Système de la nature jouit tranquillement du ciel qu’il outrage et de sa patrie dont il est le corrupteur ! Comment donc se fait-il que des livres aussi séditieux se vendent dans votre capitale et peut-être aux portes de vos palais ? » C’est que l’impiété use de stratagèmes que le clergé dénonce en vain au roi : quand l’incrédulité veut mettre au jour quelque ouvrage scandaleux, « elle l’annonce sous le nom d’un auteur mort depuis plusieurs années » ; et, en effet, à la faveur de ce mensonge, on sait combien d’auteurs, ou morts ou profondément oubliés, Voltaire se plut à ressusciter et à immortaliser. Seulement, disons-le en passant, le public reconnaissait tout de suite et se disputait « la manne de Ferney » ; il n’en fut pas de même pour les produits que fournissait la boulan-