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sée. On connaît la boutade de Chamfort : « Un simple prêtre doit croire un peu, sinon on le trouverait hypocrite ; mais il ne doit pas non plus être sûr de son fait, sinon on le trouverait intolérant ; au contraire, le grand vicaire peut sourire à un propos contre la religion, l’évêque en rira tout à fait, le cardinal y joindra son mot. » Cette boutade nous peint assez fidèlement l’état d’esprit de maint ecclésiastique : qui donc, en effet, dans ce siècle de raisonneurs, qui donc, même au sein de l’Église, et encore qu’à son corps défendant, n’était pas un peu philosophe ? Où était alors la foi assez robuste, ou assez naïve, pour n’avoir jamais été entamée par la froide ironie d’un Montesquieu, par les sorties véhémentes d’un Diderot ou les facéties irrésistibles d’un Voltaire ? « Combien, disait Mercier, y a-t-il d’évêques, d’abbés ou de chanoines, qui disent régulièrement leur bréviaire[1] ? » Et Nonnotte lui-même regrettait en 1772 que « l’esprit philosophique eût pénétré jusque dans les cloîtres[2]. »

Sans doute, aucun temps n’avait été plus fertile en miracles ; mais les miracles des Convulsionnaires, bien loin de glorifier l’Église, n’avaient fait que la discréditer davantage ; car, d’exhiber « des femmes couchées par terre et trois ou quatre personnes montant sur leur estomac », suivant la peinture de Barbier, un tel spectacle n’était pas de nature à ramener les incrédules, mais bien plutôt à les égayer aux dépens de la religion, le fanatisme indécent ne pouvant qu’augmenter les blasphémateurs et les athées. Ajoutons enfin, et seulement pour mémoire, parce que c’est un fait trop connu, que beaucoup d’ecclésiastiques vivaient d’une façon scandaleuse : « tous les prêtres, avoue Barruel, auraient dû être bons et beaucoup furent relâchés. » Le relâchement fut tel chez bon nombre de galants prélats qu’il devait sembler à un philosophe que Dieu se lasserait sans doute un jour d’être chrétien : « que d’hommes, s’écriait tristement l’abbé Nonnotte, qui ne sont redevables de leur puissance et de leurs richesses qu’aux titres sacrés

  1. Tableaux de Paris, VI, 184 ; comparez Taine : Anc. rég., I, 382.
  2. Dictionn. philosophique de la Religion, 1772.