Aller au contenu

Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/285

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Enfants de France, c’était le poète ; l’autre, c’était l’évêque, surintendant de la reine ; puis le poète, encouragé par le roi, entra triomphalement à l’Académie. Se fût-il mis une pierre au cou ! Tout entier à la noble et, il l’espérait du moins, lucrative mission de sauver le trône et l’autel, Lefranc se dépêcha, dès son discours de réception (le 10 mars 1760), d’assommer — c’est le mot qui convient à la lourdeur de ses coups — « cette philosophie altière qui sapait et l’autel et le trône. » Et, face à ses adversaires, il leur asséna en plein visage la stupéfiante mercuriale que voici : « Des prétentions ne sont pas des titres. On n’est pas toujours philosophe pour avoir fait des traités de morale (à l’adresse de Duclos), atteint les profondeurs de la plus sublime géométrie (à l’adresse de d’Alembert)… Le sage vertueux et chrétien, voilà le philosophe. » Ainsi parla Pompignan et des hauteurs de Ferney vint s’abattre aussitôt sur cet énergumène le terrible déluge des « quand » auquel Morellet s’empressa de mêler la grêle intarissable des « si » et des « pourquoi ».

L’infortuné Lefranc semblait coulé à fond, lorsque le succès des Philosophes, de Palissot, ayant jeté l’alarme au camp encyclopédique, Lefranc releva la tête et, secouant ses oreilles, écrivit, avec plus d’aplomb que jamais, et fort de l’agrément du roi, un Mémoire justificatif où il prenait l’univers à témoin du triomphe qu’il avait remporté sur l’irréligion ; tout cela débité avec une pompe de style faite pour mettre en joie ceux-là même qu’il se vantait de chasser de l’Académie. Tant d’outrecuidance fit éclater Voltaire qui lança contre le « pauvre diable » les vers immortels de la Vanité. Lefranc en resta foudroyé :


Malheur à tout mortel, et surtout dans notre âge,
Qui se fait singulier pour être un personnage !…
Combien de rois, grands dieux ! jadis si révérés,
Dans l’éternel oubli sont en foule enterrés !
La terre a vu passer leur empire et leur trône.
On ne sait en quel lieu florissait Babylone.
Le tombeau d’Alexandre, aujourd’hui renversé,
Avec sa ville entière a péri dispersé.