Aller au contenu

Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/288

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tristement Grimm, qui commençait à se répandre, sera bientôt éteinte ; la barbarie et la superstition auront bientôt recouvré leurs droits[1] ». Et, bien plus tard, on retrouve, dans ces lignes de Condorcet, comme un ressouvenir des transes que donna Palissot à tout le camp encyclopédique : « Les lois qui défendent de jouer les personnes sont muettes ; la magistrature trahit son devoir et voit, avec une joie maligne, immoler sur la scène des hommes dont elle craint les lumières et le pouvoir sur l’opinion. Cependant Voltaire se réveille[2]. » Voltaire non pas ; il était, on l’a vu, en coquetterie réglée avec Palissot, qu’il égratigna à peine dans le Russe à Paris et l’Épître au roi de la Chine ; et Palissot, qui avait eu le bon esprit de le ménager, put écrire en goguenardant que Voltaire s’était permis contre lui « quelques espiègleries ». Ce n’est donc pas Voltaire, mais bien Morellet qui, suivant une auguste périphrase de Lemontey, « perça le téméraire qui avait ramené l’antique licence au sein de l’urbanité française et osé rendre à Thalie le cynisme outrageant d’Aristophane[3] ». « Outrageant » était juste, mais « Aristophane » était une hyperbole de plus dans la belle phrase de Lemontey — bien que Palissot ait écrit lui-même, avec son ordinaire fatuité, dans l’Examen des Philosophes ; « l’auteur révèle aujourd’hui son secret : ce fut celui d’Aristophane. »

Les Philosophes ne sont au fond, malgré leur bruyant et éphémère succès, qu’un fade pastiche des Femmes savantes, et le seul tort de Palissot, c’est d’avoir été médiocre et froid en une œuvre qui, faite pour porter un coup mortel à de puissants ennemis, ne demandait précisément rien de moins que la verve étincelante et implacable qui jadis avait lancé les Nuées contre ces sophistes qu’on donnait pour ancêtres aux philosophes. Mais de s’indigner, comme le font les amis de la philosophie, contre cet infâme Palissot qui osait attaquer en plein théâtre « des hommes estimables et esti-

  1. IV, 240.
  2. Vie de Voltaire. Diderot, 1847, IV, 104.
  3. Éloge de Morellet à l’Académie française, 1819.