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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/293

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Et quel autre que Diderot pouvait prendre pour soi cette piquante maxime du critique : « On convient qu’il faut mettre de la chaleur dans un ouvrage, mais il ne faut pas y mettre l’incendie ». Ailleurs encore il écrivait avec non moins d’à-propos : « Ils ont découvert que l’enthousiasme est le moyen le plus sûr pour connaître la propriété des choses » ; et il eût pu se dispenser d’orienter le lecteur en renvoyant aux Entretiens du Fils naturel.

Dans toutes ces attaques, blessantes comme la vérité, Fréron parlait simplement en critique : on lui répondit par de grossières injures qui, l’ayant diffamé auprès de la postérité, doivent être doublement reprochées à ses insulteurs. Diderot, dans son Essai sur Claude et Néron, après avoir dit, d’un certain Suilius, qu’il était un scélérat, ajoute en parlant de Fréron : « Quand il arrive à un censeur de cette espèce de défendre un Suilius, c’est peut-être sa propre cause qu’il plaide. » L’ami Grimm trouve moyen de renchérir sur cette méchanceté. Il apprend à ses nobles correspondants d’Allemagne que Fréron a fait un voyage en Basse-Bretagne pour recueillir la succession d’une nièce qui « faisait un trafic lucratif de ses charmes dans les ports les plus fréquentés de la province ». Puis, rééditant une indécente plaisanterie de Voltaire sur Fréron, il raconte, avec sa gentillesse d’Allemand, qu’en arrivant à Brest, le commandant des galères a demandé au journaliste s’il venait prendre possession de son bénéfice. Lorsque Fréron est sur le point d’être emprisonné au Fort l’Évêque pour avoir eu l’outrecuidance de critiquer une comédienne, la Clairon, Grimm trouve plaisant que maître Aliboron-Fréron ait eu recours, pour éviter la prison, à la reine de France, et celui qui plaisante ainsi, c’est le plat courtisan de Catherine et des plus infimes principicules germaniques. En général, il parle de Fréron, un confrère pourtant, sur un ton badin, comme s’il ne le jugeait pas même digne de sa colère, et ce même Grimm, l’amant, et, qui plus est, l’hôte de Mme d’Épinay, appelle ironiquement notre journaliste « le vertueux Fréron ».