Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/30

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c’était blesser la religion, qui en était inséparable, il semblait aux libertins que, de se dissiper et de mener joyeuse vie, c’était jouer un bon tour à l’Église et à ses ministres, et ils étaient immoraux par irréligion.

On nous accordera peut-être aussi que, si le Jansénisme a eu sur le dix-septième siècle l’influence prépondérante qu’on lui attribue, non sans raison, il est naturel alors que les effrayantes exigences de sa morale ascétique aient provoqué une révolte de la nature humaine qui, pour ne pas être opprimée, se débrida et s’emporta aux pires excès. La société, pour avoir voulu faire l’ange, avec les Jansénistes, finit par faire la bête, avec les Libertins et, plus tard, avec les Roués de la Régence. C’est ainsi qu’en Angleterre la réaction contre les puritains, contre les Saints de l’armée de Cromwell, aboutit aux mœurs dissolues du temps de Charles II : c’est sous ce prince que se réveilla la « Joyeuse Angleterre » et alors, comme à l’époque de la Régence, le libertinage, dit Green, « fut la marque du vrai gentilhomme. » La dévotion du grand roi, à la fin de notre dix-septième siècle et le devoir qui en résultait, pour les courtisans, de paraître aussi dévot que lui, devaient avoir les mêmes fâcheuses conséquences : n’étant pas libre au grand jour, on était licencieux à huis clos. De là cette philosophie tavernière qui a tant scandalisé le père Garasse.

Maintenant n’est-il pas permis de juger les Libertins un peu autrement que ne les ont jugés le père Garasse et les prédicateurs du temps, c’est-à-dire autrement que n’ont fait leurs ennemis ? Sur les 50 000 Parisiens athées que comptait le père Mersenne, et de la vie desquels nous ne savons rien, on nous accordera bien qu’il n’y avait pas, selon le mot un peu vif de Garasse, 30 000 « ivrognes », et qu’on aurait sans doute trouvé, dans cette prétendue Sodome du siècle, quelques honnêtes gens qui n’étaient pas incrédules dans l’unique but, comme le dit Bourdaloue, de contenter « leurs sales désirs[1]. » Or, que ces gens-là n’aient

  1. Bayle, dont nous connaissons la vie, était un parfait honnête