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pu vivre et penser à leur guise, j’entends : honnêtement mais contrairement aux prescriptions et aux dogmes de l’Église, sans encourir les anathèmes d’un Bossuet ou les injures d’un père Garasse, — c’est là, ne l’oublions pas, un de ces malheurs des temps qui, s’ils ne sont pas imputables à Bossuet, n’en font pas moins désirer Voltaire. Le jansénisme expire vers la fin du siècle ; le mysticisme de Fénelon est condamné par la cour de Rome, et les protestants sont chassés du royaume ; ainsi, la doctrine officielle de l’Église triomphe partout : où donc se réfugiera la pensée indépendante et « particulière » ? dans l’incrédulité, puisque l’Église exige une soumission sans réserve à des dogmes immuables : ce qui distingue pour Bossuet, et condamne d’avance l’hérésie, c’est sa « nouveauté. » Or, bien souvent l’hérésie des Libertins consista à protester, au nom de la raison, contre des superstitions traditionnelles. On sait, par exemple, que la croyance aux sorciers durait encore au dix-septième siècle où La Bruyère pensait qu’il y avait « en cela, comme dans toutes les choses extraordinaires, un parti à trouver entre les âmes crédules et les esprits forts[1] ». Or, dès le seizième siècle, l’auteur favori des Libertins, Montaigne, rencontrant une sorcière, avait insinué qu’elle « méritait plutôt de l’ellébore que de la ciguë. » Tout de même le bon sens des Libertins se moquait de superstitions non moins ridicules et les théologiens leur faisaient un crime de ce scepticisme salutaire[2]. On remarquera que

    homme et Spinoza un saint. Gui-Patin écrivait à un de ses amis, quelques jours avant la Fronde : « M. Naudé, intime ami de M. Gassendi, nous a engagés à souper tous trois à sa maison de Gentilly, à la charge… que nous y ferons la débauche : mais Dieu sait quelle débauche ! M. Naudé ne boit naturellement que de l’eau et n’a jamais goûté de vin. M. Gassendi est si délicat qu’il n’en ose boire et s’imagine que son corps brûlerait s’il en avait jamais bu. Pour moi,… j’en bois fort peu et néanmoins ce sera une débauche, mais philosophique, et peut-être davantage. Tous trois guéris du loup-garou et délivrés du mal des scrupules, qui est le tyran des consciences, nous irons peut-être fort près du sanctuaire. » (Lettres, p. 362.)

  1. De quelques usages, LXX.
  2. Ainsi Thiers écrivait en 1678 : » Les esprits forts et les Libertins qui donnent tout à la nature et ne jugent des choses que par la raison,