Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/303

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point l’abbé de Lignac : « Dans l’histoire de Moïse, la lumière fut créée et séparée des ténèbres avant que le soleil fût produit et, dans le système de M. de Buffon, l’existence du soleil précède la séparation de la lumière d’avec les ténèbres. Comment pourrait-on s’y prendre pour contredire plus ouvertement l’histoire de la création[1] ? » En effet, et voilà de quoi fermer la bouche à Buffon. Et quand on leur demandait ce qu’avait bien pu devenir toute l’eau du déluge, ils répondaient tranquillement que « Dieu a renfermé ce surplus d’eau dans le lieu d’où il l’avait tiré ou dans quelque autre endroit[2]. »

C’est ainsi qu’allait, s’élargissant de plus en plus, et par les soins des uns et des autres, le fossé qui séparait les philosophes des croyants ; seulement, il y avait désormais plus de danger pour la religion que pour la philosophie à établir de plus en plus définitivement qu’on ne pouvait à la fois servir Dieu et la science, car ce n’est plus à la science qu’on pouvait renoncer dans le siècle des Newton et des d’Alembert. C’était donc entendre fort mal les intérêts de l’Église que d’aggraver et d’accentuer la discorde entre la science et la foi ; d’écrire, par exemple, un livre qu’on intitulait imprudemment : la Nature en contraste avec la Religion, et de dénoncer ce contraste aussi crûment que le faisait l’auteur, le P. Richard : « Il est permis d’expliquer naturellement les choses tant que, pour les expliquer de la sorte, il ne faut pas heurter la révélation ; mais si les explications qu’on donne se trouvent en opposition avec elle, on doit tenir pour certain qu’elles sont fausses ; car si elles ne l’étaient pas, Dieu aurait donc menti. » Redoutable dilemme dans lequel les philosophes ne demandaient pas mieux que d’être enfermés : comme il était, en effet, impossible de tenir pour fausses les découvertes scientifiques et de soutenir, par exemple, que Moïse était un meilleur naturaliste que Buffon, les philosophes étaient donc forcés de conclure,

  1. Lettres à un Amériquain (sic) sur l’Hist. naturelle, générale et particulière de M. Buffon, Hambourg, 1736 (en neuf volumes), t. I.
  2. De Lignac, I. 153.