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tout le monde se mariait, « la terre serait trop étroite pour contenir les hommes et l’herbe trop courte pour les nourrir ». Dès qu’il s’agissait de conserver de l’herbe pour les chastes abbés, qui donc aurait eu le cœur de la leur disputer ? Plus malin que l’évêque du Puy, Caveyrac avait trouvé une réplique assez gaillarde, qui fermait la bouche à plus d’un philosophe et mettait les rieurs du côté de l’Église : « Pourquoi, disait-il, nos académiciens et nos philosophes ne se marient-ils donc pas eux-mêmes ? pourquoi ne suivent-ils pas l’exemple de Tiraqueau, un ménage modèle celui-là, car la femme accouchait tous les ans d’un enfant et le mari d’un volume[1]. » D’Alembert et Voltaire oublièrent cette fois de répondre à Caveyrac.

Le Père Griffet avait écrit que « Voltaire part toujours de ce faux principe que les lois de la nature sont immuables. » Et c’était, sans doute, pour démontrer cette fausse immutabilité des lois naturelles que Bergier écrivait sans sourciller : « Ce texte signifie seulement que Thoré commença d’avoir des enfants à la soixante-dixième année, tout comme Noé, à la cinq-centième[2]. » Pascal avait-il eu tort d’écrire ces graves paroles que Port-Royal s’était empressé de corriger : « La seule religion contre la nature, contre le sens commun, est la seule qui ait toujours été[3] ? »

On l’a vu, l’Église répudiait purement et simplement la nature et ses droits, la science et ses conquêtes, dès que la nature et la science contredisaient la révélation. Mais cette révélation maintenant, n’est-ce pas la raison qui, en dernier recours, doit contrôler ses titres et, dès lors, les croyants ne devront-ils pas s’abaisser à discuter leur foi avec ces

  1. Apologie de Louis XIV, Avertissement. Inversement l’Église savait trouver des arguments pour excuser la polygamie, dès qu’il s’agissait de patriarches : après le déluge, il fallait « réparer les ruines de notre nature presque toute ensevelie sous les eaux » ; et, de plus, « les saintes femmes étaient touchées du désir d’avoir part à la naissance du Christ tant promis, et, comme ce désir était chaste et nécessaire, les saints patriarches avaient raison d’y condescendre. » (Bossuet : Def. de l’hist. des variations, N. LXVI).
  2. Apol., I, 478.
  3. Pascal, édit. Havet, I, 175.