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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/326

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Mais abordons l’histoire proprement dite : ici encore, le dix-huitième siècle n’a pas été moins hardi ni moins heureux dans ses innovations, lui qu’on accuse sans cesse d’avoir ignoré l’histoire. Et d’abord, sous la main de Voltaire, il a élargi et enrichi à la fois le domaine historique ; c’est Voltaire qui, le premier en France, prononce le nom de « philosophie de l’histoire » en 1765, dans son Introduction à l’Essai sur les mœurs, et Herder lui empruntera cette expression suggestive quand il écrira en 1774, ce sont les mots mêmes par lesquels il intitule son livre : « Encore une philosophie de l’histoire » ; or, ce mot seul est par lui-même un progrès, car il lie l’une à l’autre, pour les faire avancer du même pas, deux sciences qui avaient marché jusque-là séparées et distinctes. Mais il y a plus : dans cet Essai sur les mœurs, Voltaire donne le premier modèle de ce qu’on appellera plus tard l’histoire de la civilisation, et les Allemands, qui ont écrit, depuis, tant de beaux livres en ce genre (Culturgeschichten), n’ont pas hésité à faire honneur à Voltaire de cet élargissement de l’histoire : « Le premier, Voltaire a montré en un grand sujet comment on doit unir, au récit historique, la peinture de tout ce qui fait la vie spirituelle d’un peuple. Dès l’apparition de l’Essai, on peut considérer comme fondée une nouvelle méthode de comprendre l’histoire générale, et cette méthode, Voltaire a eu l’intention de l’inaugurer[1]. »

Pourtant, au siècle précédent, Bossuet n’avait-il pas écrit, en philosophe, une admirable histoire de l’humanité ? C’est ici que nous retrouvons, en ce qui distingue précisément Voltaire de Bossuet, ce trait marquant du siècle que le présent chapitre a pour but de faire ressortir et de faire valoir : je veux dire l’ambition de ramener à l’histoire naturelle toutes les sciences, même les sciences dites morales et sociales. Voltaire, écrivant l’histoire, ne l’affranchit pas seulement de cette miraculeuse tutelle de la Providence

  1. F. Jodl : Die Culturgeschichtsschreibung, ihre Entwicklung und ihr Problem, Leipzig, 1878.