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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/333

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ticiens (ou, si l’on veut : un autre usage de la raison) ; et c’est précisément la raison de ceux qui, au dix-huitième siècle, étudient la nature, j’entends de ceux qui la regardent avec leurs yeux au lieu de l’inventer avec leur imagination métaphysique. Or, ces deux méthodes, également rationnelles si l’on veut, mais dont les démarches sont l’inverse l’une de l’autre, puisque l’une va des principes généraux aux conséquences particulières, tandis que l’autre va des faits particuliers aux lois générales, ces deux méthodes, dis-je, régnèrent à la fois au dix-huitième siècle. C’est la raison du géomètre, par exemple, qui dicte à Montesquieu certains chapitres de son Esprit des lois et lui permet, « les principes une fois posés, de voir les cas particuliers s’y plier comme d’eux-mêmes ». C’est, au contraire, la raison du physicien qui apprend à Buffon « la manière d’étudier et de traiter l’histoire naturelle ». Ne dit-il pas, en effet, que « la seule et vraie science est la connaissance des faits et que les vérités mathématiques ne sont que des vérités de définition et complétement arbitraires, ce que ne sont pas les vérités physiques » ?

Ce n’est, semble-t-il, que dans la seconde moitié du siècle, pendant que s’élève lentement le monument de l’Encyclopédie et à partir surtout du moment où, suivant la juste remarque de Diderot, la géométrie cède le pas aux sciences physiques et naturelles, que la raison expérimentale étend ses conquêtes[1], sans réussir toutefois à supplanter la raison métaphysique : car c’est celle-ci, bien plutôt que « la raison oratoire », si détestée de Taine, qu’il faut rendre responsable des théories aventureuses et des constructions à priori, qu’on a tant reprochées au dix-huitième siècle et dont nous nous occuperons tout à l’heure. Il n’en reste pas moins, et c’est là un réel progrès sur le siècle précédent, que, dans beaucoup de questions, sinon dans toutes, on a sagement appliqué la méthode vraiment expérimen-

  1. En 1755, Diderot écrit ; « Les esprits sont emportés d’un mouvement général vers l’histoire naturelle, l’anatomie, la chimie et la physique expérimentale, » (art. Encyclopédie).