du dix-huitième siècle semblent parfois avoir vu derrière eux, dans le plus lointain passé, l’idéal social vers lequel ils entraînaient leurs contemporains. Ainsi qu’ont fait, du reste, la plupart des réformateurs, ils légitimaient leurs projets de réformes en les présentant comme la simple revendication d’antiques droits abolis. On peut leur appliquer, en le modifiant un peu, le mot fameux qu’on a dit de l’un d’eux, de celui-là précisément qui avait dépeint la séduisante et patriarcale cité des Troglodytes : « le peuple avait perdu ses titres, on les lui rendait », en les lui remettant sous les yeux par de poétiques images et en lui rappelant que tous ses anciens titres à la liberté et au bonheur restaient valables et sacrés malgré les usurpations séculaires des privilégiés.
Mais cette vision poétique d’un âge d’or s’évanouissait bien vite, on l’a vu, chez des raisonneurs qui n’étaient poètes que par occasion ou, si l’on veut, par indignation contre les réalités présentes. D’ailleurs, leurs rêves idylliques[1] sur la supériorité, en tous genres, de nos premiers ancêtres, étaient trop manifestement contredits par la doctrine à laquelle ils tenaient le plus, qui était même pour eux comme un article de foi : la doctrine de la perfectibilité indéfinie du genre humain. C’est donc, en définitive, et bien réellement devant eux qu’ils voyaient l’idéal à atteindre, c’est devant eux, dans un avenir de plus en plus rapproché, et non dans je ne sais quel passé imaginaire qu’était le but vers lequel, ils en étaient très sûrs, marchait infatigablement la progressive humanité.
Or le premier et le plus important des progrès, comme ils l’enseignaient eux-mêmes quand ils parlaient en philosophes et non en polémistes, c’était, suivant le mot significatif qu’ils employaient, « l’invention » de la société. Voyons donc comment ils entendaient cette invention. Il est très curieux tout d’abord que des deux théories extrêmes
- ↑ Rêves qu’on retrouve, d’ailleurs, dans l’enseignement de l’Église. Voir, sur ce point, Espinas : « La philosophie sociale au dix-huitième siècle et la Révolution », Alcan, 1898, p. 86.