Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/345

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en silence, et sous prétexte qu’elles sont très anciennes, les lois, justes ou non, qui les gouvernent, et par quel inexplicable privilège les institutions sociales échapperont-elles seules au contrôle de la raison ? « Un long abus, disait Mirabeau, est un abus comme s’il eût duré moins longtemps et l’on ne saurait prescrire contre la justice et la vérité. » Proclamée, au siècle précédent, souveraine en philosophie, la raison faisait maintenant valoir ses droits en politique ; et quelques années après l’Encyclopédie, saluant cet avènement de la raison dans le domaine social qui lui avait été jusque-là rigoureusement fermé, le philosophe allemand Hegel écrivait, dans sa Philosophie de l’histoire : « Anaxagore avait dit le premier que l’esprit gouverne le monde ; mais, maintenant, l’homme reconnaît que pour la première fois la pensée doit régir aussi la société humaine. Ce fut comme un magnifique lever de soleil. »

Comme éblouis eux-mêmes par ces lumières nouvelles de la raison politique, les philosophes ne virent pas ce qu’il pouvait y avoir de légitime et même d’indestructible dans certaines de ces traditions qu’ils croyaient déraciner et qui devaient repousser si vite sous des noms nouveaux. On leur a durement reproché cet aveuglement dont on a rendu responsable la raison classique du dix-septième siècle appliquée à des choses qui ne la regardent point. En réalité, ce qu’on appelle raison classique n’est guère autre chose que l’héritage littéraire de l’antiquité : nous avons bien plutôt affaire ici, répétons-le, à la raison cartésienne qui, maniée par les Encyclopédistes, fait table rase des institutions et du passé social, de même que, sous la plume de l’auteur du Discours de la méthode, elle avait aboli, ou prétendu abolir, tout le passé philosophique de l’humanité.

C’est un peu à l’image de la ville idéale, évoquée par Descartes dans le Discours de la méthode, que les Encyclopédistes ont conçu la société de leurs rêves ; aussi leurs disciples commenceront-ils par mettre à bas le vieil édifice social.