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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/346

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Nous n’ignorons pas tout ce qu’on peut dire et tout ce qu’on a dit contre de telles idées et contre de tels actes. Mais, pour juger équitablement les uns et les autres, il convient d’abord de les replacer dans leur milieu historique : or, ne semble-t-il pas qu’avant d’incriminer ces démolisseurs insensés, il faudrait préalablement avoir démontré que les maîtres de l’édifice social, jugé par tous imparfait, consentaient à l’accommoder aux besoins nouveaux et aux légitimes exigences des hommes de leur temps ? Or, nous l’avons vu, c’est le contraire qui arriva. N’est-il pas vrai, dès lors, que la conclusion brutale que l’on sait s’imposa tour à tour à la raison des philosophes et aux piques des révolutionnaires ? « Il importe assez peu, s’écria un jour Mirabeau, de savoir si l’usage des lettres de cachet est ou n’est pas conforme à notre droit public. Ce droit croule de toutes parts, nous sommes sans constitution : remontons aux principes. »

La raison est égale chez tous les hommes, avait dit Descartes, et les Encyclopédistes avaient ajouté logiquement : tous les citoyens ont des droits égaux. En face du dogmatisme très ancien et presque sacré de son temps, Descartes avait affirmé l’indépendance absolue de la pensée individuelle, car qu’y a-t-il de plus individuel que la raison ? les Encyclopédistes en déduisaient, et par la méthode même de Descartes, la liberté inaliénable du citoyen au sein de la société, quelque ancienne que fût celle-ci, et en face du pouvoir, quelque divin qu’il prétendît être ; et ce double affranchissement de la pensée et de la volonté menait droit à l’individualisme et à ce qui devait être un jour sa conséquence naturelle, le libéralisme moderne.

D’ailleurs, si l’on envisage, non plus les origines préhistoriques, toujours mystérieuses, mais, ce que nous connaissons bien mieux, le développement des sociétés à travers l’histoire, n’est-il pas vrai que celles-ci ont progressé à mesure que les rapports sociaux se sont réglés par de libres et explicites contrats ? S’il faut admettre que la première unité sociale a été la famille, le progrès social a peu à peu