Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/351

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non seulement ce que les philosophes niaient, mais leur négation même ; je veux dire que le rationalisme négatif est, dans l’histoire de la pensée humaine, tout aussi naturel et, pour ainsi dire, tout aussi prévu que peuvent l’être, au début de toute religion, la révélation et le miracle à la fois. À l’origine de tout culte, l’homme croit, par les cérémonies établies, entrer en communication immédiate avec son Dieu et exercer une certaine influence sur la volonté divine : il se persuade ainsi que Dieu se fait directement connaître, c’est-à-dire se révèle à lui, révélation d’abord tout intérieure, parole de Dieu qu’il croit entendre, pour ainsi dire, avec son âme ; puis, ce que lui a révélé le Tout-puissant, il le confie mystérieusement aux autres et ceux-ci, n’hésitant pas à voir, dans ces confidences, la vérité absolue, la transmettent pieusement à leurs descendants qui la fixent enfin en des livres réputés sacrés, ou, comme on dira encore, en des livres révélés : et il n’y a, dans tout cela, ni supercherie, ni imposture.

Un moment vient pourtant où la raison découvre, dans ces livres révélés, des imperfections et des contradictions qui ne trahissent que trop l’humanité des auteurs prétendus sacrés, et cette même raison, poursuivant alors son impertinente mais inévitable enquête, explique à sa façon, c’est-à-dire, par des habiletés préméditées et des mensonges raisonnés, ce qui fut à l’origine le produit spontané du plus sincère enthousiasme. Ainsi se trompaient déjà dans l’antiquité les sophistes grecs quand ils affirmaient que la religion n’est qu’une invention des prêtres et des rois ; ainsi pensa le moyen âge finissant, lorsque la comparaison des religions diverses, qui se prétendaient également inspirées, le conduisit à ce vague rationalisme qui revêtit une forme populaire dans la fameuse doctrine des « trois imposteurs ». Ainsi raisonnent enfin, à l’époque qui nous occupe, ou, ce qui est plus vrai, ainsi déraisonnent, sur les mystères religieux qui leur sont devenus impénétrables, les philosophes de l’Encyclopédie. Et il est certain qu’à tous ces rationalistes, si