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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/364

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iniquités ; les tribunaux sont pressés entre la loi naturelle et les lois positives et injustes. » Qu’on écoute encore Mirabeau avertissant avec hauteur le despotisme qu’il n’est pas jusqu’à son pouvoir de réformes qui ne s’arrête devant la barrière infranchissable des droits non écrits et que l’un de ces droits, inviolables même à la raison d’État, c’est la liberté individuelle du citoyen : « Sans doute le gouvernement doit réformer les abus, mais que cette réforme se concilie avec nos droits naturels ; point d’attentats sur la loi éternelle pour corriger les lois positives ; que l’autorité ne franchisse pas les bornes que lui a assignées la nature. On ne peut demander à qui que ce soit, fût-ce sous le prétexte du bien public, le sacrifice de sa liberté naturelle, puisque la société s’est engagée à la maintenir[1]. »

Ce n’est pas dire assez : la société ne maintient pas seulement, elle crée tous ces prétendus droits naturels puisque, sans eux, elle ne pourrait pas se maintenir elle-même. Comment, en effet, des hommes pourraient-ils vivre en société sans certaines règles de conduite, peu à peu adoptées par tous, et dont la société punit la violation, soit par des peines définies, et c’est l’origine des lois sociales, lesquelles seules fondent le droit ; soit par la réprobation publique, et c’est l’origine de la morale. La conscience sociale naît donc avant la conscience morale, car, au début, ce qui est mal, c’est ce qui est contraire aux coutumes et, par conséquent, aux intérêts de la tribu, c’est ce dont l’auteur est puni à la satisfaction de tous ; et l’on peut dire dès lors que cette morale, prétendue naturelle et innée, c’est l’intérêt qui la fait naître, l’habitude qui la fixe, l’hérédité qui la transmet et, en la transmettant, la consacre. Ainsi établie, la morale, toute grossière d’abord, comme ceux qui l’ont faite, non-seulement s’idéalise et se perfectionne à travers les âges, mais, comme la religion elle-même, oublie ses origines purement humaines à mesure qu’elle s’éloigne de celles-ci ; un jour vient enfin où elle com-

  1. Lettres de cachet, 137, 290.