Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/365

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mande, en son propre nom ou au nom d’un dieu, aux descendants de ceux qui l’avaient inventée et qui, par la persuasion ou la force, l’avaient imposée ou apprise à leurs contemporains. Ces étranges et sublimes métamorphoses de la morale ont échappé aux Encyclopédistes : ils ont placé, par exemple, à l’origine et appelé droit naturel le droit idéal qu’élaborent lentement, et qu’imaginent toujours plus humain et plus large, les générations qui se succèdent. En revanche, ce qu’ils ont bien vu, c’est que le problème essentiel en morale, c’est d’expliquer pourquoi l’on doit, ou, ce qui pratiquement revient au même, pourquoi l’on croit devoir faire le bien : et c’est, cette fois, par la méthode expérimentale qu’ils ont essayé de résoudre ce difficile problème et de fonder par là cette fameuse « morale naturelle » que nous devons faire connaître et apprécier en peu de mots.

Tandis que la morale, prêchée par l’Église, était surnaturelle, à la fois par son principe : « Il faut obéir à Dieu » et par sa fin : « pour être heureux là-haut », la morale enseignée par les philosophes est naturelle, à la fois par son principe : « Il faut obéir à son véritable intérêt » et par sa fin : « pour être heureux ici-bas ». Les philosophes ont donc fait descendre la morale du ciel sur la terre : mais en découronnant, pour ainsi dire, cette royauté de droit divin, ne lui ont-ils pas fait perdre, en même temps que son antique prestige, toute autorité véritable sur les âmes, et leur morale purement humaine saura-t-elle encore enseigner aux hommes le devoir ?

Sans refaire, après tant de philosophes de profession, un examen détaillé de l’utilitarisme, nous remarquerons seulement que ces moralistes utilitaires s’accordaient, en somme, plus qu’ils n’en voulaient convenir, avec l’Église elle-même ; pour les dévots comme pour les athées, le principal ou plutôt l’unique mobile des actions n’était-il pas toujours le désir du bonheur ? Seulement, ce désir, les philosophes prétendaient le satisfaire ici-bas, tandis que les dévots en ajournaient la satisfaction, pour l’avoir plus complète, dans l’autre monde. Pascal lui-même, pour citer