Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/380

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nement rêvé par les philosophes, à savoir un gouvernement fondé, non sur des traditions ou des préjugés populaires, mais sur la raison pure, n’est-ce pas le nôtre, n’est-ce pas cette démocratie française qui ne s’appuie sur rien que sur des principes rationnels, sur nos idées du droit et de la liberté ? Et c’est cela même, Schérer l’avait remarqué, c’est son souple rationalisme qui lui permet de « s’adapter » et de vivre dans ce siècle irrévérencieux qui veut avoir la raison de tout.

Quant à la religion, il ne s’agit plus de l’insulter, comme a fait Voltaire dans le feu de la bataille, ni de prétendre « l’écraser », prétention qu’affectaient bien les philosophes, mais dont ils savaient parfaitement toute la vanité ; le plus audacieux d’entre eux, d’Holbach, n’a-t-il pas écrit : « Il est entièrement impossible de faire oublier à un peuple sa religion[1]. » Et cependant la raison a beau, comme disait Voltaire, voyager à petites journées et même, comme l’enseigne notre propre histoire, revenir parfois sur ses pas, elle n’en a pas moins étendu peu à peu ses conquêtes : « le petit troupeau » s’est accru singulièrement, puisqu’il comprend à cette heure l’immense majorité des Français : j’estime donc que, tout en professant le respect le plus sincère pour ceux qui croient, nous devons marcher résolument, sans plus regarder en arrière, dans la voie ouverte par les philosophes.

La démocratie, en effet, pour résoudre les problèmes qui l’occuperont pendant le vingtième siècle, ne saurait prendre un meilleur guide que ce que j’appellerais volontiers « la raison française » ; j’entends par là une raison qui ne se contente pas d’être scientifique, mais qui complète encore et, au besoin, réfuterait la science par l’humanité, car rien ne saurait être, pour elle, définitivement scientifique de ce qui n’est pas en même temps juste et humain. C’est, en tous cas, cette raison-là qui a inspiré les plus nobles pages de l’Esprit des lois, de l’Encyclopédie et du Traité sur la

  1. Syst. de la Nat., II, 419, 421.