Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/42

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« que la religion ne serve qu’à ruiner le peu de bon sens que nous avons reçu de la nature[1] ». Et ailleurs : « Quels ravages ne font pas dans un esprit les préjugés de la religion ? Ils en chassent tellement les idées naturelles d’équité qu’on devient incapable de discerner les bonnes actions d’avec les mauvaises[2] ». Ici, Bayle va plus loin, non seulement que Descartes et ses disciples (lesquels avaient essayé de concilier la raison et la foi), mais que Locke lui-même pour qui la religion sera supérieure, Bayle avait dit : contraire à la raison. Mais quelle sera la conclusion de Bayle ? Va-t-il sacrifier la foi à la raison ? il n’a garde ; car, si la foi est déraisonnable, la raison, « une coureuse et une brouillonne », ne mène à rien ; ou plutôt elle semble mener l’homme, mais ce sont les passions et les préjugés qui, en réalité, le font marcher. Est-ce donc la peine de tant faire le raisonneur ? D’ailleurs, la foi étant ce qu’elle est, parfaitement absurde, il y a incontestablement du mérite à croire ; sérieuse ou non, telle est bien la conclusion de Bayle. Ce ne sera pas celle des philosophes. Bayle est à la fois, à le juger du moins d’après tout ce qu’il écrit, sceptique et croyant. Les Encyclopédistes seront, tout au contraire, quand ils oseront, comme Diderot et d’Holbach, être conséquents avec eux-mêmes, rationalistes et athées. S’ils nient Dieu, ils croient à la science et au progrès indéfini de l’humanité par les conquêtes de la science, toutes choses que repousse l’auteur du Dictionnaire critique ; et tandis que le plus grand plaisir de celui-ci est de rabaisser l’homme, la plus constante ambition des philosophes sera de l’affranchir et de le grandir à la fois.

Et voici la troisième nouveauté de Bayle : elle découle, ce nous semble, logiquement des deux premières. Si un athée peut être un honnête homme, quel droit l’État aura-t-il de le persécuter ? et, en second lieu, si la religion, si toute religion est déraisonnable, n’est-il pas absurde qu’on

  1. Critique générale, 140.
  2. Nouvelles de la République des lettres, 356.