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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/49

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Sorbonnistes sont de très médiocres arguments en faveur d’une religion qui a contre elle l’esprit d’un Voltaire et la verve d’un Diderot. Chez nous donc un clergé méprisé et intolérant à la fois devait naturellement soulever contre la religion établie des haines autrement ardentes que chez nos voisins : aussi les philosophes, bien plus violents que les déistes, ne parleront-ils de rien moins que d’écraser l’infâme.

Mais il y a une différence plus essentielle encore entre Déistes et Philosophes : en Angleterre, le protestantisme, ce compromis entre la foi aveugle et la libre raison, permettait très bien que, par un compromis nouveau, on fût tout ensemble ouvertement déiste et sincèrement religieux : témoin le fondateur même du déisme, Herbert, qui deux fois par jour priait avec ferveur à haute voix au milieu de ses domestiques. En France, au contraire, où l’on ne fait guère leur part au scepticisme et à l’esprit d’examen, on est catholique ou philosophe : c’est dire que la religion naturelle ne sera pas autre chose au dix-huitième siècle qu’une religion de tête et qu’aucun scrupule religieux n’empêchera les philosophes d’être, dans leur guerre contre la religion orthodoxe, absolus et impitoyables comme la froide raison. À l’époque de Voltaire, il y a, chez nous, la raison, d’un côté, et le catholicisme, de l’autre ; en Angleterre, à l’époque du déisme, ce n’est pas, comme on l’a cru souvent, les déistes seuls, mais c’est tout le monde qui prétend raisonner sa foi et les théologiens eux-mêmes, j’entends les adversaires des déistes, admettent parfaitement, comme Locke, un « christianisme raisonnable ». Le siècle entier étant rationaliste (seculum rationalisticum), tous, et dans les domaines les plus divers : aussi bien le poète Addison, dans son Évidence de la Religion chrétienne, que le philologue Bentley dans ses Sermons et l’astronome Newton dans ses Lettres, veulent prouver le christianisme par de bons et solides raisonnements. Orthodoxes et déistes s’accordaient sur ce point de départ : il y a, à l’origine et comme racine commune de toutes les religions, une religion naturelle ;