Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

seulement, la raison des déistes n’allait guère plus loin que cette religion-là, tandis que la raison des orthodoxes se déclarait, par-dessus le marché, capable de prouver la vérité de la religion révélée en démontrant l’accord de la raison avec la révélation. On voit toute la distance qui sépare, d’un côté, le clergé anglican du clergé français et, de l’autre, les déistes anglais des philosophes du dix-huitième siècle, et, conséquemment, combien les adversaires étaient plus près de s’entendre en Angleterre qu’en France. Tandis qu’il n’y avait qu’un fossé, par exemple, entre un évêque tel que Butler et un déiste, tel que Toland, et que la raison était comme un pont qui permettait de passer aisément d’un côté à l’autre du fossé, il y avait, entre un encyclopédiste et un théologien français, un abîme infranchissable, car la raison était seule admise par le premier, tandis qu’elle était proscrite par le second dès qu’il s’agissait, non peut-être de comprendre, mais bien, et c’était l’essentiel, de discuter les dogmes reçus. En France, les chrétiens seuls étaient vraiment religieux et les philosophes seuls vraiment et intrépidement raisonneurs : « Quand le célèbre Locke, dit Voltaire dans son Dîner du comte de Boulainvilliers, voulant ménager à la fois les impostures de la religion révélée et les droits de l’humanité, a écrit son livre du Christianisme raisonnable, il n’a pas eu quatre disciples : preuve assez forte que le christianisme et la raison ne peuvent subsister ensemble. »

Comment donc, et sur quels fondements, tant d’historiens ont-ils pu dire que le déisme anglais était le père de la philosophie française du dix-huitième siècle ? Si l’on veut bien se rappeler toutes les hardiesses de pensée d’un Montaigne et surtout d’un Bayle et toutes les impertinences de nos libertins à l’adresse des récits bibliques, on cherchera vainement ce que les déistes anglais, venus après tant de libres esprits français, pouvaient apprendre de vraiment neuf et de vraiment inédit à un Diderot et à un Voltaire. C’est ce qu’avait très bien vu Barruel lorsque, étudiant en 1803 les origines du « jacobinisme », il écrivait : « On dit