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contre son premier volume. Après tout, j’aime mieux l’excès que le défaut. »

Ainsi, si nous en croyons ces témoins désintéressés et plutôt bienveillants, l’Encyclopédie, dès sa naissance, fut très librement jugée par les lecteurs sans parti pris et il y en avait de tels, même au dix-huitième siècle.

Les deux premiers volumes avaient paru et on imprimait le troisième, quand l’ouvrage fut brusquement supprimé par un arrêt du Conseil (7 février 1752). « Tout l’orage était venu par le canal des Jésuites[1]. » Que reprochaient donc les Jésuites aux Encyclopédistes ? deux choses très différentes : tout d’abord, d’être des ennemis de l’Église en dépit de leurs orthodoxes professions de foi, et il faut convenir que les philosophes, désirant avant tout qu’on sût lire entre leurs lignes, ne pouvaient légitimement se plaindre d’être compris à demi-mot. En second lieu, les encyclopédistes faisaient concurrence à une œuvre des Jésuites, le grand Dictionnaire de Trévoux, et ainsi ils n’offensaient pas seulement la piété ombrageuse de leurs adversaires, mais, ce qui était peut-être un tort plus grave, ils alarmaient leur amour-propre d’auteurs.

Les Jésuites, alors très puissants à la cour, grâce au crédit de leur protecteur, l’évêque de Mirepoix[2], profitèrent de la première occasion qui s’offrit, ou qu’ils firent naître, pour arrêter l’exécution d’un ouvrage qui se faisait en dehors d’eux et même contre eux. Un certain abbé de Prades avait soutenu en Sorbonne, le 18 mars 1751, une thèse de doctorat, qui n’avait soulevé aucune objection sérieuse, lorsqu’on s’avisa d’y trouver, après coup, les plus horribles propositions[3].

  1. Barbier, 7 février 1752. D’Argenson dit, presque dans les mêmes termes : « Cet orage vient des Jésuites ». (26 déc. 1751.)
  2. Le plus ardent ennemi de l’Encyclopédie fut l’ancien évêque de Mirepoix. Il porta ses plaintes au roi lui-même et lui dit, les larmes aux yeux, qu’ « on ne pouvait plus se dissimuler que la religion allait être perdue dans le royaume. » (Malesherbes : Mém. sur la liberté de la Presse).
  3. La thèse débutait par une proposition sensualiste : « Toutes les