prouver toutes leurs hardiesses et de goûter leur genre d’esprit, surtout leur esprit de coterie. Ce qu’il disait un jour de Bolingbroke, qui avait attaqué la religion naturelle, il le pensait à coup sûr des disciples, autrement hardis, du libre penseur anglais : « Il est pernicieux d’enseigner aux hommes qu’ils n’ont pas de frein du tout. » Soit donc qu’il fût rebuté par les coups d’audace et par les éclats de voix du parti philosophique (je ne suis pas fait pour ce pays-ci, écrivait-il à l’abbé de Guasco), soit qu’il pensât réellement avoir dit sur les grands sujets politiques tout ce qu’il avait à dire, il consentit seulement « à mettre les pieds dans ce beau palais de l’Encyclopédie » ; mais il refusa les articles importants démocratie et despotisme, que lui proposait d’Alembert et se contenta d’un sujet plus modeste, où il était sûr à la fois de ne pas se répéter et de ne pas compromettre le repos auquel il aspirait et qu’il avait si bien gagné : « Je ne voudrais pas prendre ces articles-là, répondit-il à d’Alembert. J’ai tiré sur ces articles, de mon cerveau, tout ce qui y était. L’esprit que j’ai est un moule ; on n’en tire jamais que les mêmes portraits. »
Quels que soient, d’ailleurs, les motifs pour lesquels Montesquieu semble s’être tenu un peu à distance des Encyclopédistes et quelques différences aussi qu’il fût aisé de voir entre l’Esprit des Lois et l’esprit encyclopédique, il n’est pas moins certain que Montesquieu en définitive a combattu le premier, quoique avec des armes qu’il n’a malheureusement léguées à personne, pour la cause même qui sera celle des Encyclopédistes : la cause de la raison et de l’humanité. Dans le bel éloge qu’il a fait de lui au tome V de l’Encyclopédie, d’Alembert a très justement insisté sur ce que doivent la raison et l’humanité à l’auteur de l’Esprit des Lois : « Il a été parmi nous, pour l’étude des lois, ce que Descartes a été pour la philosophie » ; ailleurs il ajoute : « Il a toujours été guidé par l’amour du bien public ». Et d’Alembert rappelait avec fierté que le premier volume de l’Encyclopédie avait osé louer Montesquieu « lorsque personne n’osait encore élever la voix pour le