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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/73

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Montesquieu n’a fourni à Diderot qu’un article, encore inachevé et assez médiocre, l’article goût : mais l’esprit de Montesquieu est partout dans l’Encyclopédie. C’est de Montesquieu que s’inspirent et c’est Montesquieu que citent, à moins qu’ils ne le pillent, presque tous les écrivains politiques de l’Encyclopédie. Et il n’en pouvait être autrement ; Grimm avait très bien dit du chef-d’œuvre de Montesquieu qu’il avait produit une révolution dans les esprits ; or, c’est justement les esprits qui avaient le mieux lu ce chef-d’œuvre qui travaillaient au grand Dictionnaire. Encyclopédiste lui-même avant l’Encyclopédie, et cela, dans les deux sens du mot, c’est-à-dire par l’étendue et la variété de son savoir aussi bien que par la hardiesse de ses satires sociales, Montesquieu avait attaqué le premier presque tous les abus et toutes les intolérances contre lesquelles vont partir en guerre les Encyclopédistes : le célibat des prêtres, les vœux monastiques, la torture, l’inquisition, le despotisme et la papauté elle-même, c’est Montesquieu qui le premier avait parlé contre toutes ces vieilles institutions et il l’avait fait d’ailleurs avec un mélange de verve et de bon sens qu’on rencontre trop rarement chez ses imitateurs. Le premier aussi, il avait appliqué la raison à l’étude des faits politiques et il n’est pas jusqu’au fameux « état de nature » des Philosophes qui n’ait son précédent malheureux dans les Troglodytes des Lettres persanes. On peut dire enfin que, par l’immensité des matériaux amassés et surtout par le profond esprit critique qui l’anime, l’Esprit des Lois est une admirable Encyclopédie sociale : les collaborateurs de Diderot n’avaient rien de mieux à faire que de s’en inspirer et ils n’y manquèrent pas. Si certains de leurs articles rappellent Montesquieu, c’est que, bien souvent, avec ou sans guillemets, ils sont de lui. Sans doute Montesquieu, qui avait, on le sait, un idéal politique différent de celui des Encyclopédistes[1], était loin aussi d’ap-

  1. L’idéal politique de Montesquieu est si connu que nous pouvons nous contenter de renvoyer aux auteurs qui, comme M. Janet, M. Sorel et M. Faguet, en ont si pertinemment parlé dans leurs livres.