Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/76

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pédistes n’aimaient pas Buffon, Buffon le leur rendait avec usure : il ne pouvait souffrir en particulier ce même d’Alembert qui voulait régenter l’Académie et n’y réussissait que trop. Il fut un des premiers à rompre avec le despotique Secrétaire perpétuel, et même un jour, en pleine séance, dans sa réponse au maréchal de Duras (18 mai 1775), il osa lui reprocher et à ses amis leur intolérance en termes très clairs : « L’empire de l’opinion n’est-il pas assez vaste pour que chacun puisse y habiter en repos ?… Eh ! Messieurs, nous demandons la tolérance : accordons-la donc, exerçons-la pour en donner l’exemple… Qu’entr’eux les gens de lettres se suffoquent d’encens ou s’inondent de fiel, rien de plus préjudiciable. » Ce que voulait Buffon, c’est qu’on le laissât jouir en paix de ses travaux et de sa gloire ; il dédaignait, dit Grimm, d’être d’aucun parti. Il a écrit, dans son Histoire naturelle : « L’aigle est fier et difficile à réduire ; il vit solitaire ». Ainsi vivait Buffon dans sa solitude de Montbard et il élevait peu à peu, loin des réunions bruyantes et des petits soupers où Diderot et ses amis gaspillaient le meilleur de leur temps et de leur esprit, ce monument dont la majesté égalait, disait-on, celle de la nature, et dont, en tous cas, le beau style et les harmonieuses proportions formaient avec tous les défauts et tout le désordre de l’Encyclopédie un contraste douloureux aux Encyclopédistes. Ils essayaient alors de donner le change au public : « Je ferais bien, moi aussi, s’écriait d’Alembert, des phrases sur le lion ». Et Grimm écrivait avec sa brutalité allemande : « La véritable histoire naturelle du monde est encore à faire : la plume de M. Buffon serait bien propre à cet ouvrage, mais il serait à désirer que sa tête fût aussi sublime que son style. » On voit leur tactique : tirer parti de ce qu’a d’un peu solennel et apprêté la phrase de Buffon pour étouffer le savant, non pas même sous l’écrivain, mais sous le styliste.

La postérité n’a pas trouvé que même les morceaux de style les plus surannés aujourd’hui, sur le cheval ou le rossignol, dussent faire tort à celui qui fut un des plus