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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/77

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vrais savants et un des plus hardis penseurs du dix-huitième siècle. On lui a rendu, dans de récents ouvrages, une pleine et éclatante justice — ce qu’on a fait, du reste, avec d’autant plus de joie qu’en le rehaussant, on rabaissait du même coup ses ennemis et, n’hésitons pas à le dire nous-même : ses envieux. Il nous semble toutefois que, sur un point seulement, on s’est trop hâté d’immoler ces derniers à la gloire du grand naturaliste : que M. de Buffon, du tranquille rivage où l’attachait son double titre de comte et d’intendant des jardins du Roi, ait contemplé sans s’émouvoir les tempêtes déchaînées par l’Encyclopédie, il faudrait, pour oser l’en blâmer, n’avoir pas lu les admirables pages qu’il écrivit dans sa studieuse retraite. Ce n’est pas dans la mêlée des partis qu’on peut élaborer une Histoire naturelle pas plus qu’un Esprit des Lois. Soyons donc reconnaissant à Buffon de son chef-d’œuvre : mais n’oublions pas aussi qu’il fut fort heureux, non-seulement pour les Calas et les Sirven, dont on a peut-être trop parlé, mais pour tous ceux, et ils étaient innombrables, qui furent victimes des abus, innombrables aussi, de l’ancien régime, pour tous ceux qu’on rançonnait parce qu’ils étaient paysans, qu’on pendait haut et court quand ils n’étaient pas nobles, et qu’on torturait quoiqu’ils fussent peut-être innocents, n’oublions pas, dis-je, qu’il fut très heureux pour tous ces gens-là que Voltaire, malgré ses défauts, et que les Encyclopédistes, malgré leurs petitesses, n’aient pas partagé l’inaltérable sérénité d’âme de Buffon. Il est heureux que ces mécontents et ces batailleurs ne se soient pas claquemurés, pour travailler plus à leur aise, dans cette haute tour que treize jardins en terrasse séparaient du reste de l’univers et d’où l’heureux châtelain écrivait à ses amis plongés dans le tourbillon de Paris : « Le vrai bonheur est la tranquillité[1] ». Tandis que la folie des Encyclopédistes était de vouloir se mêler de corriger le monde, la sagesse de Buffon consistait un peu trop, comme celle de Philinte,

  1. Corresp. inéd., par Nadault de Buffon, t. I, p. 83.