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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/98

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réquisitoire, le Parlement et le Conseil du roi révoquaient le privilège et défendaient la vente de l’Encyclopédie. C’est pour se soustraire à tous ces orages, qui coup sur coup fondaient sur le parti philosophique, que d’Alembert se retirait prudemment sous sa tente. Au fond, son zèle encyclopédique n’avait jamais rien eu d’excessif, refroidi qu’il était, non seulement par ce qu’il appelait lui-même la crainte rafraîchissante des fagots, mais encore par la circonspection naturelle à un esprit sceptique et à un cœur sec. Très peu « sensible », en dépit de la mode, assez inaccessible même à cet amour de l’humanité et à cette passion du bien public qui respirent dans presque tous les écrits de l’époque et en rachètent tant de pages déclamatoires, d’Alembert n’estimait pas assez les hommes pour « sacrifier son repos, comme le dit ingénument, en parlant de lui, Condorcet, à l’espérance incertaine d’être utile ». Il écrit lui-même à Voltaire : « Moquez-vous de la sottise des hommes, j’en fais autant que vous ». Il en fait même plus, car il prétend rire de tout, « aussi bien de Labarre que de Hume et de Jean-Jacques », et Voltaire est obligé de lui rappeler qu’ « il n’est plus temps de plaisanter, les bons mots ne convenant plus aux massacres. »

Et, d’autre part, Protagoras, (c’est ainsi que l’appelait Voltaire), était trop convaincu, comme il l’affirmait lui-même, que sur toutes les questions on peut soutenir le pour et le contre, il croyait trop exclusivement aux seules vérités mathématiques pour combattre les erreurs de son temps avec la hardiesse d’un Jean-Jacques ou avec l’acharnement d’un Voltaire. « Je voudrais bien servir la raison, écrivait-il à ce dernier, mais je désire encore plus d’être tranquille. » Or, l’Encyclopédie était trop décriée en 1758, l’on y avait des collègues trop compromettants, enfin on y était trop en butte aux attaques « infâmes » d’un Moreau et d’un Fréron, pour qu’on pût espérer de continuer l’œuvre avec liberté, encore moins avec sécurité. En vain Malesherbes lui expliquait-il, avec son ferme bon sens, « qu’il est impossible de défendre la religion sans démasquer ceux qui