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l’attaquent ». Très chatouilleux, comme Voltaire, et très intolérant, comme tous les Encyclopédistes, d’Alembert n’admettait pas qu’il fût permis à Fréron de relever les contre-sens de sa traduction de Tacite, ni à Moreau de le représenter, même allégoriquement, dans son pamphlet, les Cacouacs : « Croyez-vous, écrit-il à Voltaire à propos de ce pamphlet saugrenu, qu’une satire atroce contre nous a été envoyée de Versailles à l’auteur avec ordre de l’imprimer ? Je suis excédé des avanies et des vexations de toute espèce que l’Encyclopédie nous attire. Les satires odieuses qu’on publie contre nous, les sermons ou plutôt les tocsins qu’on sonne à Versailles contre nous en présence du roi, nemine reclamante, l’inquisition nouvelle et intolérable qu’on veut exercer contre l’Encyclopédie, en nous donnant de nouveaux censeurs, plus absurdes et plus intraitables qu’on n’en pourrait trouver à Goa ; toutes ces raisons, jointes à plusieurs autres, m’obligent à renoncer pour jamais à ce maudit travail. » Ces « autres raisons » de la retraite précipitée de d’Alembert, Diderot nous les a révélées dans une lettre, dictée sans doute par le dépit, mais où les faits articulés doivent être vrais, puisque Diderot ne fait que raconter à Mlle Volland une conversation qu’il vient d’avoir avec d’Alembert : d’Alembert demandait aux libraires une somme exorbitante après avoir publié ailleurs ses propres articles dans l’Encyclopédie.

Tout cela est probablement très exact, car il ne nous paraît pas que d’Alembert ait été l’homme désintéressé et le fier gueux qu’il est d’usage d’offrir à notre admiration. Sans doute il refusera ces fameuses cent mille livres de rentes, que lui offrit Catherine pour l’éducation du grand duc, et dont ses amis et lui-même ont mené si grand bruit ; mais c’est qu’il n’était pas fait, nous dit le naïf Condorcet, pour « une cour orageuse où, dans l’espace de vingt ans, deux révolutions avaient renversé le trône et où le changement du ministère avait été souvent aussi funeste qu’une révolution » ; et l’on sait ce qu’étaient ces révolutions sanglantes, qui faisaient dire à Voltaire, malgré ses tradi-