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Page:Dufour - Étude sur l’esthétique de Jules Laforgue, 1904.djvu/39

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disposées sur cette toile que la lumière y vibre comme dans l’espace ? Les valeurs en sont-elles observées ? Les intervalles du foncé au clair y sont-ils exactement évalués ? Les touches y sont-elles superposées selon les rapports fixes des complémentaires ?

Le peintre, qui, avant de prendre palette et brosses, a fait un dessin minutieux, arrêtera aux lignes tracées ses touches de couleur. Or, dans la nature, les taches perçues irradient en tout sens. Chaque objet s’amplifie en une sorte de halo, où tremblent, je voudrais pouvoir dire : s’imprécisent à la vue les contours, que seul définirait le toucher. Ces ondulations, projetées par des corps voisins, diversement rayonnants, se pénètrent, s’avivent, s’éteignent, se neutralisent. — Que devient la ligne ? — Voyez, parmi les bleus et les violets du crépuscule, cette « meule » de Claude Monet : une buée l’engaine ; comme si elle exhalait, dans le frais apaisement de la nuit approchante, la lumière et la chaleur aspirées durant le jour, elle pousse — telles les zones concentriques à la surface d’une eau où vous avez jeté une pierre — des ondes plus claires vers les ténèbres envahissantes, d’où elles refluent, brisées et assombries. Le coloriste nous aurait-il montré, autour de ces bottes de paille amoncelées, — il n’est pas de thème plus banal, — l’attristante agonie du soir, s’il les avait enserrées de lignes et coiffées d’un cône géométriquement tracé ?

La justesse des tons et l’exactitude des valeurs suffisent, d’ailleurs, à nous donner l’illusion des formes, — bien mieux qu’un dessin rigoureux. Je puis citer en exemple le Pont-Neuf, après-midi, soleil, de Camille