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Page:Dufour - Étude sur l’esthétique de Jules Laforgue, 1904.djvu/41

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peindre, ou seulement apprécier à leur valeur les impressions de la nouvelle école, commençons donc par nettoyer notre œil !

Autre méfait de la tradition : « Nous ne voyons pas les couleurs de la palette en elles-mêmes, mais selon les illusions correspondantes à l’éducation que nous ont donnée les tableaux des siècles, et avant tout pour la lumière que peut nous donner la palette (comparez photométriquement le soleil le plus éblouissant de Turner à la flamme de la plus triste chandelle) ». — Quand un peintre porte ses regards d’un paysage, où les vibrations de la lumière multiplient à l’infini les nuances, sur sa palette, garnie selon les recettes dictées par les « maîtres « ou déduites de leur œuvre, un jugement réflexe établit en lui, modifiant sa sensation et bornant son effort, un tempérament des tons naturels, innombrablement divers, et des couleurs matérielles, gamme limitée de notes assourdies. Et, sans doute, cette comparaison, faussée par la tradition et l’hérédité, « clarifie » la palette, mais, plus sûrement, elle assombrit le paysage. Que le peintre n’ait donc point une palette immuable, à laquelle il accorde de force tout paysage ! Qu’il dépouille la nature du travesti, dont les hommes l’ont à l’envi enlaidie, et la contemple enfin dans sa radieuse nudité ! Qu’il purifie ses sensations visuelles de tout alliage ! Qu’il rende son œil à sa fonction originelle ! Le reste suivra de soi. Son instinct et son industrie sauront bien inventer des moyens de traduire en images fidèles l’empreinte vive faite sur ses sens récréés par un monde rajeuni.