M. Clément la regarda fixement :
— Tu as raison, ma chère Gilberte. J’ajouterai que quelques-uns dirigent le vaisseau de l’État sans savoir où ils vont, ne paraissant préoccupés que d’une chose : se procurer à bord tous les plaisirs. Reconnaissons que de nos jours, toutefois, c’est de plus en plus difficile de gouverner. Il est si aisé pour les semeurs de fausses doctrines, les fauteurs de discordes, les grands niveleurs, de parcourir le monde, de le gagner à leurs causes. Puis un vent dissémine partout des graines qui croissent en Républiques sur des trônes renversés, en États sans Dieu, en Russies soviétiques…
On avait écouté attentivement ces réflexions enflammées. Derrière les murs de la villa Clément, le grand-père jouissait d’une belle autorité. Il avait quitté la mer, trop tôt à son gré, pour remplacer le chef de la famille, son cher fils décédé au cours de la fameuse épidémie d’influenza. Veuf depuis longtemps, il s’était exclusivement dévoué aux intérêts de son regretté Lionel. Grâce au capitaine et à sa petite fortune personnelle, ce foyer avait vécu d’heureux jours. La veuve, restée fidèle au souvenir du mari défunt, se refusa à un second mariage, malgré les chaudes suppliques des prétendants.