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misère chez le peuple : « le blé se vend quatre piastres, et le reste est en proportion ; » Les indigents ont vite fait de dévorer la dîme, et M. de Calonne achète du blé, le fait moudre et le donne. Un marguillier abuse de sa bonne foi, et surfait les prix. M. le curé l’accroche avant la messe : « Comment avez-vous pu dérober le patrimoine des pauvres ! » et il lui frotte les oreilles pour tout de bon… Mais voilà que durant l’Asperges le remords opère : le curé va s’agenouiller en face du banc-d’œuvre et demande pardon au marguillier, tellement saisi qu’il ne pouvait pas dire son oui. Tout le monde pleurait.

Il est facile de comprendre que les têtes fortes et les Gros-Jeans plus fins que leur curé ne lui firent pas les misères qui avaient parfois contristé ses devanciers, car il faut bien savoir que la propagande révolutionnaire nous était venue des États-Unis en 1776, puis de France après 1789, et qu’elle trouvait ici, dans les raideurs des fonctionnaires anglais et dans la dureté de certains seigneurs, des sources très favorables de mécontentements. M. de Calonne, trop grand esprit et trop cultivé pour s’effrayer de rien, regretta un moment son optimisme : « En vérité, c’est plus violent qu’on ne pense communément, écrit-il à Mgr Plessis en 1810.Ce sont tous les principes français. On a répandu des écrits dans ma paroisse et ce n’est rien ; mais on en a endoctriné quelques-uns qui sont complètement pervertis. Il y en a un entre autres qui a tenu les propos les plus incendiaires, jusqu’à parler de révolte… Heureusement que le nombre est infiniment petit »… Imaginez donc, à la Pointe-du-Lac !

Le curé ne séjournait au presbytère que par intervalles. Il faut savoir que les Ursulines avaient alors cinq communautés en une : le monastère, le noviciat, le pensionnat, l’externat et, jusqu’en 1886, l’hôpital, le seul hôpital de la région ; et que le manque de prêtres obligeait l’évêque de Québec de surcharger les mêmes. Comme la piété catholique n’était pas alors éveillée à la messe sur semaine et à la communion quotidienne, le vieux curé trouvait que les paroissiens n’en souffraient pas ; mais lui devait faire jusqu’à vingt-quatre lieues le même jour, en calèche, en traîne, parfois à cheval. Le dimanche, il fallait biner, — comme font encore beaucoup de curés de l’Ouest et des États-Unis, — célébrer la messe au couvent à sept heures, puis cahoter à jeun, neuf bons milles, pour desservir nos campagnards vers