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Page:Dugré - La Pointe-du-Lac, 1934.djvu/59

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V — L’Éducation


À aucun moment l’ignorance n’a été complète.

Il y a toujours eu chez nous des gens qui savaient signer. À certains moments, surtout de 1780 à 1840, c’était la petite minorité, mais des signatures sont là tout de même, signatures d’hommes et signatures de femmes, en grosses lettres béquillardes ou en écriture qui court bien.

À titre d’exemple, si l’on permet un exemple familial, qui peut être typique : des neuf générations de Dugré, à partir de l’ancêtre Jacques signalé à Lachevrotière, en 1690, jusqu’aux petits écoliers d’aujourd’hui, un seul représentant ne signe pas ; c’est le grand-père Modeste, né en 1811, qui défriche avec son père, Modeste 1er, d’abord forgeron au village, mais élevé aux Trois-Rivières et sachant écrire, les lots de colonisation du rang de Saint-Charles, où l’école s’installa vers 1840. C’est le seul anneau qui manque à cette chaîne de braves signatures de mariages heureux et de baptêmes nombreux. Il est permis de croire que ce cas est probant : avant ce pionnier qui planta sa famille sur le sol, les anciens allèrent en classe à Québec et aux Trois-Rivières ; après lui, grâce à lui, les écoles nouvelles jaillirent jusqu’au fond de la campagne conquise. N’y a-t-il pas une émotion à se dire : « Je suis le petit-fils d’un illettré, plein de cœur et de débrouillardise, qui obscurément usa ses bras pour que ses fils soient, non meilleurs, mais plus avantagés que lui… »

Les désorganisations de 1760, les difficultés inhérentes à un établissement de colons, puis le manque de liberté, puis les tentatives anglo-protestantes de confisquer le cerveau de nos jeunes gens, la grève contre une école qui ne serait qu’une souricière, une boîte à anglicisation. Si nos Canadiens d’il y a cent-cinquante ans s’étaient entichés de l’anglais comme nos imprévoyants d’aujourd’hui, aucune trace de notre langue ne survivrait plus.

Le solide bons sens de nos arrière-grands-pères préféra l’ignorance d’une génération ou deux à la déchéance de toutes ; il se dit qu’avec l’Acte de Québec l’Angleterre apprenait à con-