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dre. C’est ainsi que des pelotons d’instructeurs agricoles parcourent actuellement notre province et poussent les fermiers à la culture intensive ; mais ceux-ci opposent une raison majeure, le manque de garçons de ferme : ils ne trouvent pas d’hommes à engager. Ceux qui pourraient l’être s’en vont travailler aux munitions. Et puis, les Canadiens, du moins ceux des campagnes, n’aiment pas à se mettre à quatre pattes : le jardinage leur donne des tours de reins.

On continuera donc la culture ordinaire, extensive, celle des terres de cent acres. Mais alors, multiplions-les, ces terres de cent acres. Rien de plus facile, puisque nous en avons dans Québec 445,000 qui se donneront au premier occupant. Faisons de la surproduction d’après cette seconde manière, en décuplant l’étendue des terres occupées, si nous ne pouvons décupler le travail sur un seul et même lopin. Beaucoup de jeunes Canadiens qui ne veulent pas s’engager chez un gros fermier où ils sueront beaucoup, gagneront peu et ne verront jamais d’avenir pour eux, seraient très fiers d’aller sans trop de peines défricher à leur profit une ferme qui leur appartiendrait, où ils pourraient élever une famille et donner les lots voisins en héritage à leurs enfants.

Entre nous, il faut avouer qu’il n’y a pas de métier plus ingrat que celui d’homme engagé à la campagne. L’été, ses journées sont longues et chaudes ; l’hiver, sa paye est mince ; toujours sa part d’ouvrage est la plus rude et sa place la dernière : il ressent trop son infériorité, ce qui est peut-être le plus dur de son sort. À vingt, trente ou quarante ans, pourra-t-il espérer un changement de situation ? devenir propriétaire ? se marier ? établir des enfants ? jamais.

Non, la catégorie des engagés à l’année est à peu près éteinte, et il ne faut pas la regretter : elle envoyait fatalement