Page:Dugré - Vers les terres neuves, 1917.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 13 —

son homme aux États-Unis. Le développement du machinisme et le nombre d’enfants de nos cultivateurs, l’amour de la liberté personnelle et la facilité pour les plus pauvres de se tailler des domaines en pays neuf, devraient contribuer à établir chez nous un autre status agricole que dans les pays vieux, qui ne peuvent plus s’agrandir et qui s’acharnent à faire suer toute sa substance à la dernière motte de terre et à la dune la plus poudreuse. C’est un contresens économique que de vouloir faire de nous un peuple de maraîchers comme si nous étions en Belgique, resserrés dans cinq ou six de nos comtés : il y a 652 Belges par mille carré, là où nous ne sommes pas six.

C’est un autre contresens, dans un pays qui s’ouvre, où la terre est au premier occupant, de nous accorder avec nos ennemis pour comprimer notre peuple dans une espèce de réserve de quinze millions d’acres, quand il y en a quarante-cinq millions d’actuellement disponibles dans Québec, et six cent millions dans tout le Canada. Préjugé ou non, pour nos gens une terre n’est digne de son nom que si elle a autour de cent arpents, et malgré toutes les adjurations des agronomes professionnels ou amateurs, bien peu se résoudront à morceler leur bien entre deux ou trois fils. Nous ne parlons pas de ceux qui posséderaient cinq ou six cents arpents, car alors ce n’est plus une terre mais cinq ou six qu’ils auraient à léguer. Nos gens n’ont peut-être pas tort de répugner à l’émiettement de l’héritage. Cette division a quelque chose d’humiliant, et puis elle ne vaut que pour une génération ; le problème se présentera plus difficile à la génération suivante quand on aura encore plusieurs fils à établir : les familles sont ici plus nombreuses qu’en France.