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villes augmentent de 314,000 âmes, nos campagnes et villages ne s’élèvent pas de 40,000. Et pourtant, Dieu sait si nos familles rurales se multiplient : où vont donc tous ces enfants ? Car il faut bien qu’ils se déversent quelque part : une terre qui peut nourrir une famille de douze enfants ne nourrira jamais douze familles de douze enfants. Évidemment, onze devront partir. De quel côté ?

Il y en a un bon et deux mauvais : se chercher des terres aux régions nouvelles, ou s’enfuir en ville et aux États-Unis. Si personne n’est là pour éclairer le paysan vers le rude chemin de la forêt, il ira vers l’un des mauvais côtés, où tout le pousse, où les chemins de fer le conduisent, où sont rendus les anciens amis. Quel père de famille peut raisonnablement imaginer d’établir ses cinq ou six fils sur des terres en bois debout, qu’il voit en noir, à deux cents milles de chez lui ? Qui prend la peine de le guider, de l’instruire ?

L’avenir des enfants se décide souvent bien à la légère, chez nos cultivateurs. On commence par leur faire entendre qu’il n’y a pas moyen pour eux de se procurer de fermes, on les dégoûte de la terre pour leur en faire perdre la vocation, on leur parle d’un oncle ou d’un cousin qui fait de l’argent en ville ; la visite d’un ami, une place d’apprenti, une besogne quelconque tiendront lieu d’appel divin auprès de bons paysans si religieux par ailleurs. Une éducation des parents s’impose, et c’est le prêtre qui devrait dire le dernier mot dans cette question d’âme et de vie qui décidera de la santé physique et morale de plusieurs générations. Les curés devraient organiser eux-mêmes le déversement de leurs paroisses, qui se produira fatalement sans eux et contre eux, du mauvais côté, s’ils ne veulent pas se mettre à la tête. Ils ne peuvent pas garder toute leur jeunesse, c’est entendu ; qu’ils lui proposent donc une œuvre à faire, un idéal d’avenir et de