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Page:Duhamel - La Vie des martyrs.djvu/102

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france, il n’y a même plus d’instants. Seule, seule, l’inimaginable éternité…

Pour qui cette humide brise d’automne dont claque la toile tendue devant la porte ? Pour qui cette rumeur marine des pins et les rais de clarté traversés d’un vol d’insecte ? Pour qui ce meuglement de canon mêlé désormais au paysage comme un des bruits de la nature ? Pour moi seul, pour moi qui suis seul ici avec le mort.

Le cadavre est encore si proche de l’homme vivant que je ne peux me décider à être seul, que je ne peux me décider à penser comme quand on est seul.

Et puis, vraiment, nous avons passé trop de jours à espérer, à patienter ensemble, et, si tu le veux bien, mon camarade, je dirai : à souffrir ensemble. Nous avons passé trop de jours à souhaiter la fin de la fièvre, à scruter la plaie, à chercher la cause profonde du désordre. Tous deux frémissants, toi de ressentir la souffrance et moi de te l’infliger parfois.

Nous avons passé tant de jours, souviens-toi, corps sans âme, tant de jours dans l’attente naïve de cette médaille méritée… Mais, pour être sur la